Une bactérie anti-inflammatoire pour soigner la maladie de Crohn ?
Des chercheurs ont réussi à produire des bactéries bénéfiques pour lutter contre les inflammations intestinales, dont souffrent les patients atteints de maladie de Crohn ou de rectocolite hémorragique. Ces bactéries modifiées pourraient être consommées sous forme de gélules ou de produits laitiers.
C'est peut-être un espoir de traitement pour les 200 000 personnes qui - en France - sont atteintes de maladies inflammatoires chroniques de l'intestin, dites MICI (en particulier la maladie de Crohn et les rectocolites hémorragiques). Lors des poussées inflammatoires, ces patients souffrent de douleurs abdominales, de diarrhées fréquentes et parfois sanglantes, ou encore d'une atteinte de la région anale (fissure, abcès).
Des chercheurs de l'Inserm et de l'Inra* ont observé que ces patients manquaient d'une molécule naturellement présente à la surface de l'intestin. Cette molécule - une protéine humaine appelée l'Elafine - a des propriétés anti-inflammatoires : elle protège les intestins des agressions.
"Le rôle de cette protéine avait été étudié dans le poumon, mais peu dans les intestins", précise Nathalie Vergnolle, directrice de recherche à l'Inserm. "Le système digestif est un système complexe qui implique plusieurs protéines. Notre piste de travail a été d'identifier les protéines qui ont les effets les plus importants. C'est ainsi que l'on s'est intéressés à l'Elafine."
Aider les patients à restaurer l'équilibre de l'intestin
Les scientifiques ont eu l'idée de l'introduire dans l'alimentation pour aider les patients à restaurer l'équilibre de l'intestin.
Pour cela, ils ont modifié des bactéries non pathogènes naturellement présentes dans l'intestin. Ils y ont introduit le gène de l'Elafine humaine.
Ces bactéries modifiées peuvent être consommées sous forme de gélules ou de produits laitiers (Lactococcus lactis et Lactobacillus casei).
Cette expérience a donné des résultats concluants chez la souris. En effet, lorsqu'elles sont administrées par voie orale à des souris, ces bactéries recombinantes productrices d'Elafine humaine se retrouvent quelques heures plus tard à la surface de l'intestin où elles délivrent la protéine anti-inflammatoire.
Dans différents modèles murins (modèles d'expérimentation animale utilisant la souris) d'inflammation intestinale chronique ou aiguë, le traitement oral, par ces bactéries produisant l'Elafine, a considérablement protégé l'intestin et diminué les symptômes inflammatoires.
"On a démontré un rôle préventif et curatif de la protéine Elafine", explique Nathalie Vergnolle, l'une des scientifiques auteur de l'étude. "Dans tous nos modèles chez la souris, on a observé un effet bénéfique de l'Elafine, mais selon les modèles, l'inflammation a été réduite de façon drastique ou de façon significative".
Bientôt des essais cliniques
L'expérience a aussi donné de bons résultats sur des lignées cellulaires intestinales humaines en cultures similaires à celles observées dans les maladies inflammatoires chroniques de l'intestin. Reste maintenant à confirmer ces résultats sur le corps humain.
"On a mis environ un an et demi à obtenir ces résultats, précise Nathalie Vergnolle. Aujourd'hui, le concept a été breveté et la licence a été rachetée par une entreprise de biotechnologies américaine. Cette entreprise réunit actuellement des fonds pour mettre en place des essais cliniques".
Par ailleurs, l'équipe va étudier d'autres pistes. "On va rechercher d'autres protéines protectrices ou une protéine de la même famille pour obtenir un effet additif", ajoute Nathalie Vergnolle.
Ces dernières années, les chercheurs se sont beaucoup intéressés aux intestins. Ils soupçonnent cet organe de jouer un rôle important, y compris dans des maladies a priori éloignées du système digestif.
"Beaucoup de maladies sont dues à la perméabilité des intestins", explique Nathalie Vergnolle. "Les intestins sont censés exercer une fonction de barrière. Quand ils dysfonctionnent, c'est l'ensemble du système immunitaire qui est affecté. On commence à comprendre que certaines maladies neurodégénératives peuvent être liées à la flore intestinale", conclut-elle.
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*Nathalie Vergnolle, directrice de recherche à l'Inserm, et son équipe du Centre de physiopathologie de Toulouse Purpan (CPTP Inserm / Université Toulouse III – Paul Sabatier /CNRS), avec Philippe Langella directeur de recherche à l'INRA et son équipe de l’Institut Micalis, en collaboration avec l'Institut Pasteur. Leurs travaux sont publiés dans la revue Science Translational Medicine du 31 octobre 2012.
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- Inserm
"Une bactérie qui vous veut du bien", par Nathalie Vergnolle, directrice de recherche à l'Inserm.