Il perd la vue après une série de pompes dans la position du poirier
Quelques heures après être revenu de sa salle de sport, un fringuant trentenaire a brusquement perdu la vue du côté droit. Ce cas médical surprenant, décrit ce 2 décembre 2014 dans British Medical Journal Case Reports, est loin d'être isolé. Il renvoie à une pathologie bien connue : la rétinopathie de Valsalva. Explications.
Ce Britannique de 32 ans se souviendra longtemps de sa séance de pompes la tête en bas... Six heures après avoir quitté le gymnase, la moitié de son champ visuel s'est obscurci brutalement. Les examens réalisés dans un service d'urgences quelques heures plus tard ont montré que si sa vision était parfaite du côté gauche, son acuité visuelle côté droit était de 6/18.
Un fond d'œil a révélé une grande hémorragie maculaire (là où les récepteurs assurant la vision diurne sont les plus nombreux) et de multiples hémorragies des vaisseaux de la rétine (voir illustration). Ne pouvant pas passer à côté de la belle musculature de leur patient, les médecins l'ont interrogé sur ses efforts physiques récents. Des pompes en faisant le poirier plus tôt dans la journée ? Le diagnostic est posé : il s'agit d'une rétinopathie de Valsalva.
Lorsque l'on réalise un effort physique "à glotte fermée" – c'est-à-dire en retenant sa respiration – les mouvements entraînent une augmentation de la pression dans le thorax ou l'abdomen. C'est un peu comme essayer de plier une bouteille vide que l'on aurait rebouchée… Lorsque l'augmentation de la pression est brutale, les vaisseaux sanguins sont rapidement comprimés. Cette surpression est transmise dans tout le corps, et les vaisseaux les plus délicats – ceux de l'œil – peuvent alors éclater.
Depuis 1972, date à laquelle la pathologie fut nommée (voir encadré), plusieurs centaines de cas ont été rapportés dans la littérature médicale. Du judoka amateur à l'haltérophile accompli, en passant par les "pom-pom girls" acrobates, les sportifs sont les plus représentés parmi les malades. Dans une moindre mesure, les femmes enceintes présentent un risque accru de développer cette pathologie.
La liste des efforts violents pouvant entraîner la rupture des vaisseaux de l'œil semble sans fin. Ainsi, en 2008, des ophtalmologistes français ont décrit une cécité survenue après une très forte quinte de toux. En octobre dernier, des médecins britanniques ont même décrit un cas authentique de rétinopathie de Valsalva apparue chez un homme peu après... un orgasme. Messieurs, voyons, ne retenez pas votre respiration pendant le sport en chambre !
Les facteurs prédisposant à cette pathologie rare sont aujourd'hui mal connus.
Dans la plupart des cas, une rétinopathie de Valsalva se résorbe d'elle-même, pour peu que le patient soit maintenu dans de bonnes conditions physiologiques. Le patient dont le cas est rapporté dans British Medical Journal Case Reports a, de fait, choisi cette option thérapeutique.
Toutefois, des interventions au niveau du corps vitré (laser, chirurgie) s'avèrent parfois nécessaires pour éliminer l'hémorragie et rétablir la vision.
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(1) L'homme avait bénéficié d'une opération ophtalmologique au laser pour ses deux yeux. Son acuité visuelle était de 6/5 à son passage aux Urgences. Cet antécédent médical a été pris en considération par les médecins.
(2) Observation de la rétine, de l'extrémité du nerf optique et de la macula à l'ophtalmoscope.
Source : Handstand induced visual loss: Valsalva retinopathy. H. Oliphant et coll. BMJ Case Reports, déc 2014. doi:10.1136/bcr-2014-206733.
Vous avez dit Valsalva ?
En proposant l'expression "rétinopathie de Valsalva" en 1972, le médecin Thomas Duane établit une analogie entre le phénomène de surpression à l'origine de l'éclatement des vaisseaux et la célèbre manœuvre de Valsalva. Inventée au XVIII siècle, elle consiste à inspirer, se boucher le nez, fermer sa bouche, et expirer jusqu'à l'ouverture de la trompe d'Eustache ; de l'air pénètre alors dans l'oreille moyenne (ce qui passe naturellement quand on baille ou que l'on déglutit), rétablissant la pression dans l'oreille. Depuis la fin des années 1950, on sait que ce geste entraîne une augmentation de la pression oculaire, d'où le terme proposé par le Dr Duane. En 1965, des médecins allemands avaient déjà identifié un cas de surpression oculaire chez un haltérophile, et établi cette analogie.