Don de sperme : un marché clandestin en France
Dans son livre "Super-Géniteurs : enquête sur le don de sperme sauvage en France" (ed. Michalon), Sarah Dumont propose une enquête inédite sur une pratique taboue et illégale. Etayée de témoignages de donneurs et de familles, ainsi que de nombreux experts, la journaliste met en lumière un aspect méconnu des débats d'actualité sur l'anonymat du don et l'ouverture de la PMA pour tous. Sarah Dumont était l'invitée du Magazine de la santé ce jeudi 8 septembre 2016.
- Que dit la loi concernant l'insémination artisanale ?
Sarah Dumont, journaliste : "Aujourd'hui, l'insémination artisanale par sperme frais est interdite en France. On encourt quand on pratique l'insémination artisanale par sperme frais, une peine de deux ans d'emprisonnement et 30.000 euros d'amende. Aujourd'hui, le don de sperme est anonyme et doit se faire dans les CECOS (Centres d'Etudes et de Conservation des Oeufs et du Sperme), dans les banques de sperme officielles.
"La procréation médicalement assistée et le don de sperme ne sont autorisés qu'aux couples hétérosexuels qui rencontrent des problèmes d'infertilité ou qui risquent de transmettre une maladie grave soit au conjoint, soit à l'enfant."
- Qu'est-ce que le don artisanal de sperme frais ?
Sarah Dumont : "Il existe trois façons de procéder au don artisanal. La première méthode consiste à recueillir la semence du donneur et ensuite de se l'inséminer généralement via une pipette de Doliprane® pour enfant. La seconde méthode dite semi-naturelle consiste à une pénétration "last minute", c'est-à-dire une pénétration au moment de l'éjaculation. C'est un rapport sexuel extrêmement court. La dernière méthode dite naturelle consiste en un rapport sexuel en bonne et due forme."
- Comment les couples de femmes, les femmes célibataires ou divorcées entrent en contact avec les potentiels donneurs ?
Sarah Dumont : "L'insémination artisanale a toujours existé. Avant, il s'agissait de petits arrangements entre amis. Aujourd'hui, avec les réseaux sociaux, les arrangements sont de plus en plus faciles et se font entre inconnus. Il existe beaucoup de groupes sur Facebook ou des sites qui sont à la base dédiés à la coparentalité, donc plutôt dans l'idée de faire un enfant ensemble et l'élever ensemble, pour poster des annonces. Des donneurs postent des annonces pour proposer leurs services, et des couples ou des femmes seules vont faire le portrait-robot du donneur idéal."
- Tous les donneurs tiennent-ils une comptabilité précise de leurs dons ?
Sarah Dumont : "Ed Houben est un donneur néerlandais qui aujourd'hui a 112 enfants. Il est le donneur le plus prolifique d'Europe. En France, le donneur le plus prolifique a 48 enfants.
"Ed Houben et le donneur français tiennent des tableaux Excel dans lesquels ils entrent les infos dont ils disposent comme la date de naissance de l'enfant, la ville, le prénom s'ils l'ont… Ils mettent à disposition ces tableaux si les enfants souhaitent un jour être au courant de la vérité et s'ils souhaitent s'assurer qu'il n'y aura pas de consanguinité."
- Que se passe-t-il si un jour le donneur souhaite reconnaître l'enfant ?
Sarah Dumont : "C'est le problème de l'insémination artisanale. En terme juridique, la loi n'a jamais été appliquée. On ne peut pas rentrer dans l'intimité d'une chambre à coucher. Il y a un don artisanal, on ne pourra jamais prouver si cela a été fait avec une seringue ou par rapport sexuel. La loi n'a jamais été appliquée dans ce sens. Le risque est humain. Aujourd'hui, le statut de géniteur n'existe pas en France. On doit agir dans l'intérêt de l'enfant et l'intérêt de l'enfant, c'est d'avoir un père et une mère. Le risque, c'est que l'envie des deux protagonistes, les receveurs ou la receveuse et le donneur, change. Il peut arriver que le donneur change d'avis à la naissance de l'enfant car il est chamboulé… et finalement il suffit qu'il aille à la mairie, il reconnaît l'enfant et il devient père de cet enfant.
"Généralement, les femmes ne changent pas d'avis. Aujourd'hui je n'ai pas de cas de femmes qui ont changé d'avis. Mais on peut s'interroger sur la réaction des enfants par rapport au choix qui a été fait dans leur dos et se dire qu'un jour peut-être, ces enfants voudront aussi "punir" leur père s'ils sont nés d'un multi-géniteur et qu'ils apprennent qu'il a fait 50 enfants. Je m'interroge sur l'avenir de ces enfants, ils n'auront qu'une demande à faire. S'il y a des traces de cet accord, ils pourront faire une demande de reconnaissance en paternité et ils l'obtiendront."
- Quelles sont les motivations des donneurs ?
Sarah Dumont : "Les motivations des donneurs sont diverses. Il y a des hommes qui agissent par altruisme, par envie d'aider, par militantisme parce qu'ils estiment qu'une femme seule ou homo a le droit aussi de fonder une famille. Certains donneurs agissent pour soigner leurs propres troubles psychologiques. Ils ont un vrai problème à régler par rapport à leur virilité, ils ont un désir de toute puissance. Ce sont des donneurs compulsifs, ils veulent repeupler la planète de petits "eux". Cela peut être assez effrayant. D'autres ont senti le bon filon et vont réclamer soit de l'argent en échange (de 150 à 600 euros l'insémination), cette pratique est également totalement illégale, soit un rapport sexuel."
- Quelles sont les motivations des receveuses ?
Sarah Dumont : "Les motivations des receveuses sont le résultat à savoir celui d'avoir un enfant. Pour les femmes homosexuelles et les femmes seules, elles se tournent vers ces donneurs car elles n'ont pas le choix. Elles peuvent se rendre à l'étranger (Belgique, Espagne…) mais cela coûte cher (entre 450 et 1.500 euros l'insémination sachant qu'il faut quatre à cinq essais). Certaines n'ont pas les moyens financiers et elles se tournent vers l'insémination artisanale. Il y a aussi des couples hétérosexuels qui n'en peuvent plus d'attendre dans les banques de sperme françaises, qui trouvent les délais trop longs ou qui ne supportent pas les rendez-vous avec les psys… Du coup, ils vont se tourner vers cette voie. Ces couples sont minoritaires mais il y a aussi une vraie volonté d'offrir à son enfant la possibilité de savoir d'où il vient. Fini l'anonymat, la loi du ni vu, ni connu. On veut dire à son enfant d'où il vient, qui est son géniteur et qu'il puisse éventuellement le rencontrer un jour".