Le rugby, un sport de casse-cous !

Alors que le XV de France affronte demain son meilleur ennemi du XV de la Rose en quart de finale de la Coupe du monde, le cou des joueurs va être soumis à rude épreuve. Si on prête peu d'importance à cette partie de l'anatomie, les blessures peuvent pourtant être graves.

La rédaction d'Allo Docteurs
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Rédigé le , mis à jour le

Chronique de Gilles Goetghebuer, du 5 octobre 2011

 

Le cou recèle des trésors d'ingéniosité anatomique. Son histoire remonte à la nuit des temps...

Chez les humains, le cou naît avec l'adoption de la bipédie, il y a  7 à 8 millions d'années. Lorsqu'on marche à quatre pattes, il faut en effet pouvoir résister aux forces de pesanteur qui s'exercent sur la tête. La plupart des animaux quadrupèdes possèdent de ce fait des cous assez massifs et musculeux. Lorsque la tête est à l'aplomb du corps, ces gros muscles deviennent inutiles et le cou peut prendre la forme gracile qui caractérise notre espèce. En clair, le cou différencie l'homme de l'animal. Il différencie aussi l'homme de la femme. Plus court chez lui, plus long chez elle ! Surtout chez les femmes-girafes de Birmanie à qui l'on posait des anneaux de laiton jusqu'à des hauteurs considérables de l'ordre de 40 centimètres ! Certains auteurs ont dit que c'était pour les protéger des attaques de tigres. Mais en réalité, c'était pour répondre à un vieux principe de la mode qui consiste toujours à accentuer les caractéristiques d'ordre sexuel.

Les cous de ces femmes-girafes étaient tellement longs et fragiles qu'elles risquaient la mort lorsqu'on leur enlevait les anneaux. Cette mutilation était aussi très invalidante. Plus moyen de bouger la tête. Or c'est précisément cette mobilité qui fait l'ingéniosité du cou. Il permet d'effectuer d'amples rotations en coordination parfaite avec les mouvements des yeux. Ainsi lorsqu'un objet digne d'attention paraît dans le champ visuel. Les yeux le fixent en un ou deux dixièmes de seconde. Puis la tête entame son mouvement de rotation et, trente millisecondes plus tard, les yeux sont revenus au centre de l'orbite. Tout cela grâce au cou.

Huit millions d'années pour en arriver là. Et puis l'homme invente le sport. Et le pauvre cou se trouve soumis à un tas de contraintes non prévues par l'évolution. Il court alors le risque de blessures graves. D'où l'expression de "casse-cou" utilisée pour désigner les trompe-la-mort !

Plusieurs disciplines sportives soumettent le cou à dure épreuve. Le sport automobile notamment. Car, dans les virages, il faut pouvoir résister aux forces d'inertie qui s'exercent sur la tête additionnées au poids du casque. La boxe présente aussi des risques. Seule la robustesse du cou empêche la tête de bringuebaler dans tous les sens, ce qui est synonyme de KO ! Enfin, le rugby est dangereux. Notamment en mêlée. Imaginez-vous un instant glissant votre cou au centre de la mêlée au moment où les deux packs (presque 900 kilos) s'encastrent l'un dans l'autre. Lentement, cette masse se met à bouger. À chaque pas en avant, en arrière ou sur le côté, les cous subissent des contraintes effarantes non prévues par l'évolution. 

En rugby, les avants développent des cous de taureaux, précisément pour résister à ces forces phénoménales. C'est même une des caractéristiques les plus typiques du joueur de rugby avec le nez cassé et les oreilles en chou-fleur.  

De fait, les ligaments s'hypertrophient, les muscles se renforcent, les vertèbres elles-mêmes changent de forme. Le corps humain est toujours stupéfiant dans sa capacité à s'adapter aux contraintes. À la longue, il arrive néanmoins que d'autres problèmes apparaissent comme l'arthrose ou des hernies discales cervicales avec pour conséquence de réduire les dimensions du canal médullaire dans lequel court la moelle épinière. Les nerfs collatéraux se retrouvent eux aussi pincés à la sortie de la colonne cervicale, ce qui génère des zones d'insensibilité, des fourmillements dans les bras ou parfois des élancements douloureux. Plus grave encore, ce syndrome du canal étroit expose à des lésions de moelle épinière à la suite d'un mauvais mouvement ou d'une chute malencontreuse. Conscientes de ce danger, les autorités du sport ont adapté les règlements pour diminuer les risques, notamment en interdisant la poussée en mêlée dans les équipes de jeunes.

La prévention s'organise également. Désormais on conseille aux joueurs de passer des examens radiologiques pour mesurer ce que l'on appelle "l'Indice de Torg", c'est-à-dire le rapport entre le diamètre du canal et celui du corps de la vertèbre. Si ce rapport diminue de façon inquiétante, l'équipe médicale doit mettre le joueur en garde contre les risques accrus d'accident et l'encourager, le cas échéant, à stopper sa carrière.

L'enjeu est considérable. En cas de blessures de la moelle épinière, on encourt des séquelles qui peuvent être très graves, notamment des paralysies. Une lésion cervicale prive parfois de l'usage des 4 membres.

En compétition, on doit s'efforcer aussi de respecter les équilibres des forces en présence. C'était d'ailleurs un problème aux premiers temps de la Coupe du monde de rugby. Les matches se terminaient avec des scores fleuves tels que celui entre la Nouvelle-Zélande et le Japon en 1995 qui s'est soldé par 145 contre 17. Ou encore Australie-Namibie en 2003 avec un score de 142 à 0. Aujourd'hui, les matches sont beaucoup plus serrés. Les petites équipes se défendent bien contre les grosses. Parfois même un peu trop bien. On pense au match qui a opposé la France aux Iles Tonga.

Mais lorsqu'on songe à la sécurité des protagonistes, c'est plutôt rassurant. Cela signifie que tous les acteurs sont au top de leur forme et de leur préparation, ce qui réduit le risque d'accident tel que celui qui a frappé Max Brito lors de la Coupe du Monde de 1995 en Afrique du Sud. Le jeune ailier de l'équipe ivoirienne (24 ans à l'époque) évoluait à Biscarosse en Fédérale 3. Il ne s'est pas relevé à la suite d'un regroupement à la quatrième minute d'un match de poule contre les Iles Tonga. Touché aux vertèbres cervicales, il souffre désormais de tétraplégie. Il habite à Talence près de Bordeaux.

 

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