Prix des anticancéreux : les oncologues tirent la sonnette d'alarme
Dans une lettre adressée au ministère de la Santé, trente cancérologues dénoncent une réforme qui entrainerait un déremboursement de certains traitements contre le cancer.
Le gouvernement veut retirer certains médicaments contre le cancer de ce qu'on appelle la "liste en sus". Actuellement, lorsqu'ils sont dispensés à l’hôpital, ces traitements sont remboursés à 100% par l'Assurance-maladie. Pour les médecins, un déremboursement mettrait en péril l'égalité d'accès aux soins. Les explications du Pr Jean-Yves Pierga, chef du service d'oncologie médicale à l'Institut Curie à Paris. Il fait partie des signataires de la lettre.
- Pourquoi cette réforme est-elle néfaste pour les patients ?
Pr J.Y. Pierga : "Cette réforme supposerait que certains médicaments ne soient plus remboursés. Il faudrait donc que ce soit l'hôpital qui paye ces médicaments et que cela soit retiré de son budget."
- Le gouvernement estime que le service médical rendu de ces anticancéreux n'est pas suffisant pour justifier leur remboursement. Autrement dit, ils ne seraient pas assez efficaces. Or, on prescrit ces traitements depuis plusieurs années. Est-ce que cela signifie qu'ils ne servent à rien ?
Pr J.Y. Pierga : "Le problème est qu'il y a une barre qui a été fixée qui dit qu'à partir d'un certain niveau de service médical rendu, on ne rembourse plus. Certains de ces médicaments sont largement prescrits. Pour le moment, il n'y a pas forcément d’alternative. C'est là aussi la préoccupation des cancérologues.
"A ce moment-là, pourquoi ne pas dire carrément qu'il n'y a pas d'indication de ces médicaments. Ce n'est pas une question de remboursement. Si on considère que ces médicaments ne sont pas utiles, alors il n'y a pas de raison de leur donner une autorisation de mise sur le marché."
- Cinq molécules sont particulièrement ciblées. Elles sont utilisées pour traiter les cancers du côlon, du poumon, de l'ovaire et du sein. Le directeur de l'Institut Curie a annoncé que ces médicaments ne seraient plus prescrits, s'ils n'étaient plus remboursés. Comment allez-vous faire à l'Institut Curie ?
Pr J.Y. Pierga : "C'est effectivement ce qui nous a été annoncé. Le directeur nous a dit qu'il n'allait pas laisser la possibilité aux médecins de choisir. Si ces médicaments ne sont plus remboursés, nous ne pourrons plus les prescrire. Si on les prescrit, cela fait 3 millions d'euros de moins au budget de l'hôpital. Ce n'est pas tenable…"
- Certains médicaments anticancéreux sont hors de prix. Est-ce justifié ? Est-ce que les laboratoires pharmaceutiques font des marges considérables sur ces traitements ?
Pr J.Y. Pierga : "Il y a très clairement une inflation sur les prix des médicaments. Plus ils sont nouveaux, plus cette innovation est chère. Les derniers traitements d'immunothérapie, par exemple, enfoncent encore des plafonds. Les industriels nous expliquent que, pour pouvoir mettre au point un médicament, il faut passer par beaucoup d'échecs d'autres médicaments. Et, finalement, c'est sur un médicament qu'ils vont pouvoir rembourser tous ces investissements.
"Quelle est la part exacte de ce poblème ? Et jusqu'où peut-on aller dans cette négociation sur le prix ? Quel est le juste prix de ces médicaments ? Il est clair qu'il faut avoir des discussions là-dessus. Mais les médicaments sont de toutes façons de plus en plus chers. C'est aussi parce qu'ils sont de plus en plus ciblés.
"Il y a bien sûr les thérapies ciblées, mais aussi les immunothérapies. Il s'agit d'une autre génération de médicaments encore plus chers. Il y a probablement des économies qui pourraient être faites sur la production avec l'apparition de génériques de ces médicaments. Mais pour d'autres traitements, comme les anticorps, le processus n'est pas simple. On ne peut pas forcément les remplacer par des génériques, c'est beaucoup plus compliqué à mettre au point."