Maladie de Parkinson : le principal suspect est coupable
Depuis 1997, les chercheurs se méfient d'elle. D'apparence inoffensive (elle est d'ailleurs présente chez tout sujet sain), la protéine alpha-synucléine se retrouve accumulée dans les neurones de tous les patients atteints d'une forme ou une autre de maladie de Parkinson. Les scientifiques traquaient ainsi depuis quinze ans une défaillance dans le circuit d'élimination de la molécule... Mais des biologistes français viennent de démontrer ce que certains soupçonnaient déjà : l'alpha-synucléine des malades possède en elle-même la capacité de se propager et de causer l’ensemble des dégâts neurologiques caractéristiques de la maladie.
La recherche scientifique prend parfois un air de film noir : après de longues années à s'impliquer dans l'enquête, les scientifiques soupçonnaient le témoin clef de l'affaire "Parkinson" d'être, en réalité, le coupable. A chaque autopsie, il était là, accumulé dans le cerveau des victimes. Pourquoi s'échouait-il ici, en si grande quantité ? Quel processus biologique entraînait la formation de ces agrégats (les "corps de Lewy") ?
Bien sûr, l'alpha-synucléine - car tel est son nom - entraînait par sa présence et par sa propagation la maladie… Mais ce qui intéressait les enquêteurs, c'était d'identifier le dysfonctionnement complexe qui entraînait cette accumulation et cette diffusion.
Epuisant une à une toutes les hypothèses, les biologistes de tous pays ont fini par tourner de nouveau leur regard sur l'alpha-synucléine elle-même. L'hypothèse stupéfia par sa simplicité et son audace : et si l'alpha-synucléine des patients parkinsoniens était différente - subtilement - de celle des patients sains ?
Existe-t-il une chance, même infime, que la protéine "témoin", du fait d'une conformation très légèrement différente, puisse se multiplier, se diffuser, et produire à elle seule la maladie ?
La preuve décisive
Des chercheurs de l'Inserm endossent dans ce récit le rôle de Nestor Burma : pour tester cette stupéfiante hypothèse, ils ont proposé de prélever l'alpha-synucléine présente dans des humains décédés de la maladie de Parkinson, de la purifier, puis de l'inoculer à très faibles doses dans le cerveau de souris et de singes vivants et sains (au niveau du striatum, siège identifié de la maladie).
Aux premiers mois de l'expérience, aucune modification biologique notable ne fut observée au cours des examens médicaux réalisés sur les animaux.
Mais après quatre mois chez les souris, et neuf mois chez les singes, les chercheurs ont observé une dégénérescence de certains neurones... Au fil des semaines, l'alpha-synucléine s'accumulait dans les cellules, et se propageait dans les cerveaux des sujets.
"L'inoculation d'une faible quantité de protéine malade induit la neurodégénérescence, et a également un effet propagatif", insiste Benjamin Dehay, co-auteur de la découverte. "Cette expérience prouve que cette alpha-synucléine humaine reste toxique chez l'animal, et qu'elle est capable de se propager toute seule !", selon un mécanisme similaire à celui décrit dans les maladies à prions.
Le dossier n'est pas clos
"Nous allons désormais travailler avec d'autres laboratoires pour analyser avec la plus grande précision la structure de l'alpha-synucléine des sujets sains et des sujets malades", poursuit Benjamin Dehay. "En étudiant leur structure tridimensionnelle, il est probable que nous découvrions l'existence d'un mauvais repliement de la protéine dans le second cas".
Un volet de l'affaire "Parkinson" se referme, mais le dossier n'est, malheureusement, pas clos pour autant. Cette découverte ouvre des perspectives thérapeutiques à long terme : "puisque nous savons, désormais, que cette protéine est capable d'induire seule ces dégâts, nous pouvons chercher à diminuer son expression, à augmenter sa dégradation ou à empêcher qu'elle n'acquière cette conformation pathologique". Les expériences offrent en outre aux scientifiques le moyen d'induire aisément, en laboratoire, la maladie de Parkinson sur l'animal à des fins d’étude.
Source : Lewy body extracts from parkinson's disease brains trigger α-synuclein pathology and neurodegeneration in mice and monkeys. A. Recasens, B. Dehay, J. Bové et coll. Annals of Neurology, nov 2013. doi:10.1002/ana.24066