« On ne s’est pas dit au revoir, pas tenu la main »
Interdiction des visites, mise en bière rapide, limitation des rassemblements lors des enterrements, les mesures de sécurité mises en place pendant le confinement ont rendu très difficile le travail de deuil des personnes qui ont perdu un proche.
Marie-Claude a perdu sa mère Suzanne pendant la période de confinement. Agée de 92 ans, cette dernière est rentrée à l’hôpital le 26 mars dernier pour une opération du col du fémur. Elle est testée positive au Covid-19, admise dans le service des Covid mais décède trois quart d’heure avant son transfert.
A l’époque, les visites à l’hôpital sont interdites. Marie-Claude insiste, mais on lui refuse.
« Je trouve ça assez inhumain : y’a des masques, dans les hôpitaux y’a des surchaussures. Si on m’avait demandé d’aller acheter une blouse quelque part avec des manches, je l’aurais fait. J’aurais acheté un pantalon. Je pense qu’il y avait des solutions…» raconte Marie-Claude. « Je me demande ce qui s’est passé pour elle, est-ce qu’elle s’est sentie abandonnée par ses enfants ? Est-ce qu’elle a elle a souffert ? Est-ce qu’elle voulait nous parler ? (...) On s’est pas dit au revoir. »
Parfois des visites exceptionnelles sont autorisées
Anne-Sophie a elle aussi perdu sa mère pendant le confinement. Résidant en EHPAD, cette dernière présentait des symptômes de coronavirus depuis quelques jours, quand l’équipe soignante a téléphoné.
« Votre maman a décompensé, elle a des difficultés respiratoires, on s’occupe d’elle, on vous propose de venir (...) je dis : « ah bon mais on peut pas aller dans les EHPAD », et là l’infirmière me dit : Moi si je ne vous propose pas de venir, je pourrai pas me regarder dans la glace ». Alors ils nous font nous habiller : charlottes, blouses, gants, masques. On n’avait pas le droit de s’approcher d’elle à moins d’un mètre. On lui dit: « mais maman, on est là, on t’aime (...) Et puis quelques minutes après, elle a cessé de reprendre sa respiration (...) Maman était partie. »
Dans ce contexte, Anne-Sophie et sa famille attendent 12 jours avant de pouvoir organiser l’enterrement, limité à 20 personnes.
Un processus de deuil compliqué
A l’association Empreintes, spécialisée dans l’accompagnement du deuil, les appels se sont multipliés pendant cette période.
« Tout ce qui permet normalement de témoigner du lien, de l’affection qu’on a, d’avoir des temps où on peut mettre des mots sur ce qui est en train de se vivre, il n'y avait pas ces temps forts qui permettent d’entrer dans le processus de deuil. » explique Marie Tournigand, déléguée générale de l’Association Empreintes.
« Le risque, dans notre société, c’est que comme on n’a pas pu avoir les rituels au moment du décès, on laisse le temps s’écouler sans y revenir. Donc ce qui va être important dans l’avenir, c’est de permettre de créer ces temps forts d’au revoir, même si c’est décalé dans le temps, pour entamer le processus de reconstruction qu’on doit vivre quand on est en deuil. »