Peut-on manipuler grâce à la voix ?
Comme un virus, nous pouvons transmettre certaines émotions aux autres. Pour cela, nous disposons de nombreux outils, dont notre voix qui joue un rôle-clé. Les explications de Christophe Haag, chercheur en psychologie sociale.
Notre voix est un peu notre second visage, elle est extrêmement expressive. Des chercheurs ont montré que les émotions de base, telles que la joie, la colère et la tristesse par exemple, peuvent s'exprimer à travers des intonations, des qualités vocales, des rythmes ou des pauses qui leur sont propres. Autrement dit, chaque émotion possède une signature vocale unique.
Lors d'une conversation, nous avons tendance à imiter inconsciemment l'accent, le débit, l'intensité et la fréquence fondamentale de la voix, le temps de réponse, les pauses, ainsi que la durée de chaque prise de parole de notre interlocuteur. Cela n'est pas anodin, c'est pour mieux socialiser. Et c'est en imitant les vocalisations d'autrui que nous imitons son état émotionnel. La contagion émotionnelle opère alors.
La voix, un outil d'influence
La voix sert beaucoup aux policiers, notamment aux négociateurs du RAID. Christophe Caupenne, un ancien commandant du RAID, était d'ailleurs surnommé "La voix". Il a réalisé un bilan phoniatrique, c'est-à-dire une analyse poussée de sa voix, et les résultats montrent que Christophe Caupenne a une voix médium, bien posée, avec un débit très fluide. Sa voix est rassurante, apaisante et déstressante ce qui explique que sur les 350 opérations qu'il a menées, toutes se sont traduites par des succès. Sa voix donne notamment l'impression d'une personne solide, sur laquelle on peut s'appuyer.
Lorsqu'il travaillait au RAID, ce négociateur a développé une compétence toute particulière. Une sorte d'hypersensibilité, un peu comme Jean-Baptiste Grenouille, le héros du roman "Le parfum". Mais pour Christophe Caupenne, il ne s'agit pas d'une hypersensibilité olfactive mais d'une hypersensibilité sonore. Tout lui parle : la modulation du rythme de la voix de son interlocuteur, les trémolos révélateurs d'émotions intenses, le degré de tonalité, les variations de vitesse, les syllabes "aspirées", les hésitations en début de discours, les silences révélateurs de doute ou de dangerosité. C'est ce que l'on appelle la prosodie du langage oral.
Et dans les situations de tension extrême, les prises d'otages par exemple, la voix joue alors un rôle déterminant. Le commandant Caupenne se servait également de sa propre voix comme d'un instrument d'influence pour faire tomber les armes de preneurs d'otages ou des forcenés, en travaillant sur ce qu'il appelle "une fréquence d'intimité". Christophe Caupenne est d'origine bordelaise, il prenait systématiquement l'accent bordelais lorsqu'il négociait avec un preneur d'otages bordelais. C'est la théorie de l'accommodation, une manière de se mettre au même niveau acoustique que l'autre pour réduire la distance sociale avec le preneur d'otages, augmenter l'empathie entre les deux interlocuteurs. Bien souvent, la négociation de crise nécessite des voix chaleureuses qui génèrent de l'empathie, qui autorisent la confession et renforcent la compassion.
Contagion émotionnelle
Malheureusement, la voix est aussi utilisée par des personnages peu recommandables. Des médecins phoniatres ont notamment analysé, à travers des vidéos disponibles sur Internet, les voix de trois gourous de sectes, notamment celle de Luc Jouret, cofondateur de la secte du Temple solaire. L'objectif était d'essayer de comprendre comment ces derniers contaminaient émotionnellement leurs victimes en leur parlant pour les hameçonner.
Les résultats d'analyses sont assez surprenants. Les voix de ces trois gourous ont en commun un "manque de variations mélodiques, de variations de hauteurs tonales dans la voix", leur ton est assez monotone. On s'attendait à trouver chez ces personnes, dont on vante le charisme, des postures vocales proches de celles de très bons communicants, car en général plus la voix est intonative, plus il y a de qualités esthétiques et communicationnelles.
Mais à la lumière, les gourous préfèrent l'obscurité. Ainsi, leurs voix se font discrètes, ce qui donne une impression de calme, un aspect "faussement rassurant". Leur ton de voix monocorde ressemble étrangement à celui employé par certains hypnotiseurs pour relaxer leurs clients de façon à implanter dans leur esprit une idée ou une conviction.