Deuil périnatal : "c’était la rencontre de la naissance et de la mort au même instant"
Sur sa page Facebook "Parlons Ange", Aurélien Buraud brise le tabou entourant les parents qui perdent leur enfant pendant la grossesse ou après l’accouchement. Il témoigne aujourd’hui à l’occasion de la journée mondiale du deuil périnatal.
Aurélien Buraud est un "papange". Une appellation pour nommer les pères qui, comme lui, ont perdu un enfant très tôt. Avec les "mamanges", ils sont toutes et tous des "paranges", contraction de papa, maman ou parent et ange.
Sur sa page Facebook "Parlons Ange", Aurélien Buraud brise le tabou qui entoure le deuil périnatal, défini par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) comme la perte d’un enfant entre la 28e semaine de grossesse et les premiers jours de la vie et dont la journée mondiale de sensibilisation se tient le 15 octobre.
Vous avez perdu votre petite fille en 2018, que s’est-il passé ?
Aurélien Buraud : Ma fille Alma est décédée le jour de sa naissance, le 7 mars 2018, suite à un arrêt cardiaque au moment de la délivrance. Elle était magnifique et elle semblait dormir, c’est d’ailleurs en ces termes qu’on nous l’a présentée. Je me souviens des mots du docteur : "regardez votre enfant, elle ne souffre pas, elle n’a pas souffert, et on dirait qu’elle dort…" Et c’est avec amour que je l’ai portée là, contre moi, peau contre peau, et que je suis devenu père, mais également papange. Puis après l’avoir habillée, avec l’aide des sages-femmes, il a fallu essayer de comprendre cet impensable-là. Celui de la rencontre de la naissance et de la mort en un unique instant.
Un véritable traumatisme et qui me suit encore, même 19 mois plus tard. Il fallait faire mon deuil ! Quelle formule maladroite ! Car encore aujourd’hui je reste en deuil. D’ailleurs, j’aime à affirmer que l’expression "faire son deuil" est souvent inappropriée… Pour moi, c’est plutôt le deuil qui nous fait, car la clé du processus du deuil c’est d’accepter de changer.
Quel accompagnement vous a aidé à surmonter cette épreuve ?
Aurélien Buraud : Ce qui a pu aider dans mon cas a été la présence de ma famille très accompagnante mais aussi un suivi psychologique qui est fondamental car il offre un espace de parole.
Les premiers mois, c’est de l’urgence, on ne dort pas. Le temps s’arrête, c’est une journée qui se répète et se répète encore. Pour bien comprendre, même si ce n’est pas du tout comparable, imaginez par exemple que lorsqu’on vit une rupture amoureuse, on y pense en permanence. Et bien là ,c’est la même chose, mais pour toujours, de sorte que l’on apprend à vivre avec une rupture en soi-même. La rupture de son enfant perdu, telle une amputation.
Un autre point qui m’a aidé, c’est d’avoir eu la force d’organiser les obsèques d’Alma, qui ont eu lieu le lendemain matin. Et en accord avec l’office des pompes funèbres, j’ai mis moi-même ma fille en terre, et j’ai fermé sa tombe. J’ai donc pu accompagner mon enfant, jusqu’au bout, et pour moi cela lui fait identité, car si Alma a été enterrée c’est une manière de dire qu’elle avait donc vécu. J’y ai sacrifié mon sommeil, car les cauchemars me suivent encore, mais j’ai donné à ma fille la place qu’elle méritait.
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En quoi communiquer sur le décès de votre fille vous aide aujourd’hui ?
Aurélien Buraud : J’ai ressenti le besoin de communiquer dès le jour des obsèques d'Alma. A ce moment-là, j’ai cherché de l’aide sur un groupe de parole spécialisé et auprès d’associations. Je me suis dit que j’avais besoin d’aide pour moi-même mais aussi pour être en mesure d’accompagner la mère de mon enfant. J’ai donc tout de suite demandé des conseils pratiques car je n’avais ni la place, ni le droit de m’effondrer.
Même si le chemin du deuil reste un chemin très personnel, j’ai eu la chance de tomber sur un groupe de parole fermé, "Nos tout petits", qui est un organisme de formation des personnels soignants au deuil périnatal.
Très tôt j’ai communiqué dans ce groupe et je me suis lié d’amitié avec d’autres paranges. J’ai commencé à écrire beaucoup de lettres à ma fille et les paranges m’ont conseillé de les publier à l’extérieur du groupe, sur un espace public. Ainsi, le 7 mars 2019, à l’anniversaire d’Alma, j’ai travaillé à l'ouverture d'une page dédiée, "Parlons Ange" qui s’adresse aux paranges et à leur entourage. J’essaie d’y ouvrir la parole, de libérer le tabou, et de vulgariser les notions autour du deuil périnatal.
Cet espace est à la fois une aide dans mon chemin de deuil et constitue un lieu de transmission. J’essaie de montrer aux autres paranges que l’on peut parler de sa propre histoire et briser l’isolement dont notre communauté souffre. Car quand l’urgence des premiers mois est passée, les parents endeuillés ont encore besoin de relai.
Dans ma recherche d’aide, j’ai également découvert l’association Souvenange qui accompagne les maternités dans le deuil périnatal grâce à des outils photographiques. On conseille en effet de garder des traces de l’enfant décédé pour aider au deuil et cette association de photographes professionnels capture ou retouche des images de ces bébés. Cela permet de se recueillir auprès des photos de son enfant dès que l’on en ressent le besoin, pour mieux revenir par ailleurs dans le tourbillon de la vie.
Aujourd'hui, quels conseils donneriez-vous aux paranges d’une part, et à leur entourage d’autre part ?
Aurélien Buraud : Mon premier conseil concerne tous les paranges et porte sur la gestion de l’urgence : il faut qu’ils comprennent que ce qui leur arrive est un séisme, que rien ne sera plus comme avant. Et curieusement, ce ce n’est pas le plus grave que rien ne soit plus jamais comme avant. Le plus grave, c’est plutôt l’impossibilité à investir sa vie d’après.
Comme me l’avait dit le psychologue de la maternité : "vous ne le savez pas encore aujourd’hui, mais vous aurez une autre vie." J’ai détesté cette phrase, que je vivais comme une négation de la perte de ma fille ; et pourtant dans les moments les plus noirs de la dépression, je me suis accroché à ces mots, si difficiles mais pourtant si vrais.
Mon deuxième conseil à un nouveau parange est le suivant : quand la parole pourra se faire, il faudra oser en parler car seule l'expression de la douleur pourra tout doucement vous soigner. Cette parole peut passer par les mots, par les arts, par le sport… L’essentiel est de trouver un espace, un réceptacle pour sa peine de manière à ne pas la garder en soi. Il faut en effet accepter que ce n’est pas parce qu’on garde longtemps sa douleur qu’on aura davantage aimé son enfant.
Mon troisième conseil s’adresse à l’entourage des paranges, qui doit comprendre qu’il ne faut pas presser le deuil. Il est inutile de donner des conseils, mais l’entourage doit écouter. Les proches sont par exemples invités à nommer l’enfant disparu par son prénom, et à écouter encore et encore, 20 fois, 30 fois la même histoire jusqu’à épuisement de la parole et des pleurs.
Enfin, comment pourriez-vous envisager une future grossesse, tout spécialement après un deuil périnatal ?
Aurélien Buraud : Je n’ai pas encore eu la chance de m’investir dans un futur projet de grossesse post-deuil. Mais c’est ce que l’on appelle dans notre communauté de paranges "un bébé arc-en-ciel" car il vient après la pluie du drame. Il est certain que le jour venu, un suivi spécifique me sera nécessaire, afin de vivre au mieux l’arrivée d’un nouvel enfant et de savoir lui faire toute sa place, en toute sérénité.