Violences conjugales : quel accueil aux urgences ?
L'ampleur et la gravité du phénomène des violences commises au sein du couple ont nécessité depuis plusieurs années, une réponse forte de la part du gouvernement et l'intervention des urgences dans le parcours de ces femmes victimes de violences.
Le rôle des urgences est central dans la prise en charge des femmes victimes de violences et il a beaucoup évolué ces dernières années. Des femmes sont reçues tous les jours, toutes les nuits.
Certaines consultent spécifiquement pour des violences, physiques, psychologiques, sexuelles. Mais la plupart des femmes ne parlent pas spontanément des violences qu’elles subissent. Tout comme très peu de femmes portent plainte (moins de 20%). Cela reste très difficile pour elles d’oser parler.
Un des rôles les plus importants est donc de savoir repérer les femmes victimes de violences et de savoir leur ouvrir une porte.
Comment repérer des femmes victimes de violences ?
Il faut poser la question de façon simple, au calme et de façon très bienveillante : "Est-ce que vous avez déjà subi des violences dans votre vie, au travail, dans votre enfance, à la maison ?" "Comment vous sentez-vous à la maison ?"
On peut le faire de façon systématique à toutes les femmes aux urgences, les femmes n’en sont pas choquées.
Il faut surtout être très vigilants envers les femmes qui consultent pour des motifs qui peuvent vraiment être des motifs "cachés" : des blessures, une chute, un état de stress, des symptômes atypiques comme des palpitations ou des douleurs chroniques, également les situations de mises en danger avec les patientes qui viennent pour une alcoolisation, une tentative de suicide par exemple.
Il faut également absolument en parler au moment des grossesses car c’est une période qui marque souvent le début et l’accélération des violences.
On peut et on doit poser la question de la violence. Il faut ensuite laisser un espace pour que la patiente, si elle le souhaite et si elle se sent prête, puisse parler et puisse être entendue pour demander de l’aide.
Si cela ne se passe pas à ce moment-là, peut-être que ça aidera la patiente à parler la fois suivante.
Comment prendre en charge les femmes victimes de violences ?
Si une patiente parle ou si elle consulte pour des violences, la première chose est de savoir quelle est sa demande et de quoi elle a besoin. Chaque patiente a son urgence, son histoire, il faut s’adapter à chacune :
- "Pour l'une, la priorité était les soins, c'était son urgence. Elle avait reçu des coups au visage, au niveau du nez, elle avait des douleurs au niveau du cou. Elle était surtout très inquiète que ça se voit, que son nez soit cassé, elle avait peur d’aller au travail. Son besoin premier c’était qu’on la soigne et qu’on la rassure.
On s’est occupé des blessures, puis on lui a fait un arrêt de travail.
On a parlé un peu des violences, de la possibilité de porter plainte, de l’aide qu’elle pouvait avoir ensuite, mais c’était pour elle vraiment un second temps".
- Une autre patiente avait un contexte très différent, elle venait parce qu’elle avait pris des médicaments. En posant la question des violences, les réponses sont venues très vite. Les mots principaux de cette patiente étaient la détresse psychique, la peur, la sensation de danger, les menaces et les violences qui se multipliaient, son fils qu’elle avait envie d’emmener.
Ce sont des signes d’alerte qu’il faut entendre. Il y avait un besoin en soins mais aussi un besoin urgent de mise à l’abri. A l’hôpital on peut décider de garder une patiente hospitalisée, ou voir avec nos assistantes sociales pour trouver des hébergements d’urgence et se mettre en lien avec des associations de victimes. On peut aussi dans ce contexte, proposer à la patiente de faire un signalement au procureur de la république. Quand il s’agit d’enfants, ou de patientes vulnérables, on peut le faire sans consentement.
L'importance de la remise d'un certificat à la patiente
Sur le plan judiciaire, consulter un médecin est important pour toutes les femmes vues et soignées pour des violences ou des blessures. Il leur est remis un certificat médical descriptif qui est un document qui permet de rendre compte de ce que la patiente nous a dit et de faire le constat des blessures physiques mais aussi psychologiques. On peut ajouter des photographies si la patiente est d’accord, des examens complémentaires comme des radiographies.
Ce certificat est essentiel parce que c’est un document médico judiciaire et une preuve qui pourra être utile si la patiente souhaite porter plainte et s’il y a une procédure judiciaire, même si c’est plus tardivement. On en remet un à la patiente, on en garde un aux urgences et on conseille d’en garder des copies également dans un lieu sûr.
Guider et orienter les victimes
Aux urgences, la plupart des patientes finissent par repartir. Les urgentistes peuvent se sentir très démunis. C’est essentiel de ne pas laisser partir ces femmes sans ressources et sans leur donner les informations qui vont pouvoir les aider si elles en ont le besoin.
Aujourd’hui, aux urgences les médecins sont mieux formés, les services sont mieux organisés et la plupart travaillent avec un réseau qui peut proposer aux patientes de les orienter vers des professionnels qui pourront leur apporter une aide plus spécialisée :
- Une psychologue.
- Des assistantes sociales.
- Des associations d’aide aux victimes qui existent dans tous les départements qui savent conseiller et assurent notamment une assistance juridique.
- Il existe aussi des centres spécialisés dans l’accueil des victimes de violences qui regroupent tous ces professionnels.
- On a également des dépliants, des coordonnées à fournir à ces femmes.
Certains services d’urgences proposent également d’emblée un rendez-vous de consultation pour revoir la patiente dans les jours suivants, refaire le point avec elle, voir également les enfants s’il y en a. Dans ces violences familiales, les enfants sont aussi essentiels à prendre en compte, ils sont totalement victimes eux aussi, avec des blessures invisibles qui ont pourtant des conséquences majeures sur leur santé physique et mentale. Parler des enfants, de la nécessité de les protéger peut permettre aussi de mobiliser les mères dans les démarches à entreprendre dans ces situations.
Il n’y a rien d’obligatoire, il faut toujours dire à la patiente qu’elle est libre d’agir comme elle le souhaite et qu’elle doit avant tout faire les choses à son rythme. Ce sont des portes ouvertes qui permettent à la patiente de savoir qu’elle peut en parler, que ce n’est pas normal, ainsi elle saura où aller selon ses besoins et son urgence.