Cancer : la précarité des malades devient préoccupante
Pour de nombreux patients, la précarité s'ajoute à l'épreuve de la maladie. Le cancer entraîne en effet, pour de nombreux malades, des baisses importantes de revenus, des frais supplémentaires et des difficultés pour se réinsérer dans le monde du travail. Ce sont les conclusions d'un dispositif d'observation pour améliorer les conditions de vie des malades, diffusées par la Ligue contre le cancer, le 2 mai 2012.
Cancer et baisse des revenus : la double peine
60 % des personnes qui étaient actives au début de leur maladie, déclarent avoir subi une baisse de revenus, selon les résultats de ce dispositif appelé "Dopas", conduit auprès de 1 700 malades par La Ligue contre le cancer et dont de premiers extraits avaient été diffusés fin mars 2012. Des outils de collecte spécifiques ont été mis en place, parmi lesquels le questionnaire sur les besoins sociaux.
La diminution de salaire est la conséquence de l'arrêt de travail et d'un remboursement partiel par le système de prévoyance qui, souvent, ne tient pas compte des primes et heures supplémentaires. "Les primes que je ne touche plus représentaient 24 % de mon salaire, sans compter les heures sup qui me permettaient de boucler les fins de mois", témoigne anonymement une des personnes sondées par La Ligue.
Près de la moitié (44 %) des personnes qui déclarent des baisses de salaire au cours de leur maladie indiquent avoir subi une diminution importante de plus d'un quart de leurs revenus. Ces difficultés financières exacerbent "le sentiment de dévalorisation déjà très présent dans la maladie et la baisse ou perte de revenus (...) peut être vécue comme une mort sociale", souligne La Ligue contre le cancer dans les conclusions de cette enquête.
Dépassements d'honoraires, prothèses capillaires non remboursées, crèmes "de confort" contre les brûlures des radiothérapies, frais de transport pour aller suivre les traitements ou frais de garde pour les enfants : le cancer entraîne de nombreux frais non remboursés par la Sécurité sociale et les mutuelles, qui s'ajoutent aux baisses de revenus.
La maladie entraîne aussi dans l'immense majorité non seulement un arrêt de travail, mais aussi une modification de l'activité professionnelle. Parmi les personnes qui étaient actives au début de la maladie, 51 % des personnes restaient (au moment de l'enquête) en arrêt de travail, 22 % étaient devenues inactives (retraite ou pension d'invalidité) et seules 18 % avaient retrouvé une activité professionnelle. Parmi ces dernières, seules 31 % réoccupaient exactement le même poste de travail. "Je sais que lorsque je serai en état de retourner au travail, je serai licenciée car mon employeur ne peut pas me redonner mon poste", témoigne une malade.
Conséquence moins connue, le cancer entraîne des problèmes de mobilité et transport : "41 % des personnes évoquent des difficultés de mobilité essentiellement liées à la fréquence des déplacements induite par les soins et le fait de ne plus pouvoir se déplacer seul", explique La Ligue.
Cette enquête a permis de "confirmer" certains aspects de la maladie comme "la baisse des revenus", "les difficultés de retour à l'emploi," mais aussi de mettre en avant les difficultés de mobilité, explique Giulietta Poillerat, responsable de La Ligue pour les "actions aux malades".
Enfin, pour la présidente (par interim) de La Ligue, Jacqueline Godet, "l'objectif est maintenant de porter toutes ces conclusions aux décideurs et à ceux qui vont définir la politique de santé en France".
À la veille du second tour de l'élection présidentielle, La Ligue appelle au lancement d'un troisième Plan cancer (après les Plans 2003-2007 et 2009-2013) face à une maladie qui est la première cause de mortalité en France avec plus de 350 000 cas par an.
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Le témoignage d'une patiente en situation précaire
Christine Georgin a 53 ans. Divorcée, elle vit seule. En 2007 on lui diagnostique un cancer du sein métastasé à l'os, sans guérison possible. À partir de cette date, elle commence son combat contre la maladie, mais aussi contre la précarité qui l'accompagne.
"J’étais agent général d'assurance, je gagnais correctement ma vie. Puis j’ai décidé de vendre mon portefeuille clientèle à la compagnie où je travaillais au mois de mai 2007. Je souhaitais changer de travail lorsqu’en juillet 2007 on me diagnostique ce cancer. À ce moment, tout a basculé. Il y a d’abord eu la chirurgie qui a consisté à l’ablation d’un sein. La chimiothérapie a suivi. J’étais tellement fatiguée qu’il était impossible de reprendre le travail. Heureusement, au début j’avais un peu d’argent de côté, mais il a été rapidement épuisé. Je me suis retrouvée avec 1000 euros pour vivre, provenant d’un contrat d’assurance auquel j’avais souscrit. Pendant cette période, je survis sans faire de dettes. Avec un loyer de 650 euros, il est évident que cela implique des restrictions. Et puis ces indemnités sont arrivées à leur terme, je suis reconnue en invalidité, mes revenus tombent à 760 euros par mois. Et là, la galère commence.
"J’ai d’abord été baladée d’assistante sociale en assistante sociale. C’est une situation qui n'est pas facile quand on a toujours travaillé et qu’on n’a jamais rien demandé. Je dois me battre tous les jours contre le cancer, mais aussi me confronter à l’administration. J’attends depuis 5 ans l’allocation logement (APL) pour le HLM dans lequel je vis, mais pour des problèmes administratifs, cette aide ne m’est toujours pas versée. De fait, je suis dans l’incapacité de régler la totalité de mon loyer. Je fais l’effort de payer chaque mois les deux tiers, c'est mon maximum. Seulement il y a quelques jours, j'ai reçu un courrier me menaçant d’expulsion. Et à l’hôpital on me dit : évitez toute forme de stress c’est mieux pour votre maladie.
"Les traitements contre mon cancer sont pris en charge à 100 %. Ces traitements sont très lourds et ont beaucoup d’effets secondaires ou indésirables. J’ai des problèmes d’estomac, ma vie gastrique est inexistante. Ce qui pourrait me soulager sont des médicaments aujourd’hui considérés comme des médicaments de confort qui ont été déremboursés. Impossible pour moi de me les procurer, je n’ai pas de mutuelle, je n'en ai pas les moyens et je suis trop "riche" pour percevoir la CMU. De la même façon, la Sécurité sociale rembourse les perruques à hauteur de 120 euros. J’ai donc décidé d’assumer ma perte de cheveux provoquée par les traitements de chimiothérapie plutôt que de porter ces perruques de farces et attrapes. Je ne vous parle pas des autres frais médicaux qui sont exclus de la prise en charge. Comme tout le monde, je dois aller chez le dentiste ou encore chez l’ophtalmologiste, mais je suis obligée d’y renoncer faute d’argent.
"Pour le reste je me débrouille comme je peux. J’ai la chance d’être bien entourée de mes enfants et de mes amis. Je ne cache pas que les mois sont difficiles. Parfois certaines personnes de mon entourage me paient une facture, d'autres me font des courses. Mais je ne me laisse pas abattre, j’ai une force de caractère, même si parfois j’ai l’impression d’être maudite."
Christine Georgin
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