Droit à l'avortement : un combat mondial
"Toutes les dix minutes, une femme meurt des suites d'un avortement à risque". Cette phrase choc est le début d'un appel lancé par Médecins du monde et publié jeudi 18 septembre 2014 dans Le Nouvel Observateur. Un appel signé par 420 médecins français et étrangers pour améliorer l'accès des femmes à l'avortement. Pourquoi Médecins du monde a-t-il lancé cet appel ? Les explications avec Magali Cotard.
La date n'a pas été choisie au hasard, puisque ce manifeste est publié 20 ans après une conférence capitale pour le droit à l'avortement dans le monde. Il s'agissait de la Conférence du Caire de 1994, au cours de laquelle 179 Etats-membres de l'ONU avaient reconnu pour la première fois que l'avortement était un "problème majeur de santé publique" et s'étaient engagés à améliorer la situation pour 2015.
Pour faire le bilan de ces engagements, ce lundi 22 septembre 2014 se tenait à l'ONU une session extraordinaire. L'occasion pour Médecins du monde de rappeler ce qu'il reste à faire. Le message du manifeste est clair : "Nous, médecins, voulons partout dans le monde que l'avortement soit libre, la décision appartenant entièrement à la femme". "Nous demandons à tous les Etats de prendre les mesures nécessaires".
Avortement : ce qui a changé depuis la Conférence du Caire
Depuis la Conférence du Caire, il y a eu quelques avancées. Vingt-cinq pays ont joué le jeu, comme le Népal ou l'Afrique du Sud qui ont légalisé l'avortement. En Afrique du Sud, les décès dus à l'avortement ont depuis baissé de 91%. Il y a donc des améliorations, mais globalement, un peu partout dans le monde, c'est plutôt le statu quo. Un chiffre permet de comprendre la situation : 40% des femmes sur la planète vivent dans un pays où elles ne peuvent pas avorter librement. Soit parce que l'avortement est complètement illégal, soit parce qu'il n'est possible que sous conditions.
Il y a des délais à respecter : dix à douze semaines de grossesse pour la plupart des pays (pays d'Europe et d'Amérique du Nord), mais les femmes n'ont pas d'autres conditions à remplir que leur souhait d'avorter. Dans d'autres pays, l'avortement n'est permis que sous conditions : si le fœtus est malformé, si la femme a été violée ou si sa vie est en danger. Enfin dans d'autres pays (en Amérique du Sud, en Afrique ou au Moyen-Orient), les conditions sont tellement strictes que l'avortement est quasiment impossible.
Il existe aussi des pays où l'on ne peut jamais avorter, y compris en cas de viol, chez une mineure, y compris si le fœtus n'est pas viable ou si la grossesse met la mère en danger. C'est le cas au Salvador, au Nicaragua, au Chili et à Malte. Leur point commun, c'est l'influence très forte de la religion catholique. Plus l'influence de groupes religieux est forte - quelle que soit la religion - plus il est difficile d'avorter légalement.
Les avortements clandestins
Dans certains pays où l'avortement est illégal, les femmes avortent malgré tout. Une femme qui veut avorter trouvera toujours un moyen de le faire. En Amérique latine et en Afrique, les deux continents les plus sévères sur le droit à l'avortement, les taux d'avortement sont les plus forts : 32 avortements pour 1.000 femmes en Amérique du Sud, et 29 pour 1.000 en Afrique. Alors qu'en Europe, le taux est de 12 pour 1.000, soit quasiment trois fois moins.
L'interdiction ne baisse donc pas le nombre d'avortements, elle pousse juste les femmes à risquer leur vie. Défendre le droit à l'avortement, ce n'est pas inciter les femmes à interrompre leur grossesse. C'est seulement admettre que 40% des grossesses dans le monde ne sont pas désirées. Et pour ces grossesses non désirées, une fois sur dix, la femme cherchera à avorter. Donc soit on accompagne, soit on laisse 50.000 femmes en mourir chaque année. Et défendre le droit à l'avortement, c'est aussi défendre l'égalité sociale parce qu'avec beaucoup d'argent, une femme pourra toujours trouver un médecin qui l'avortera correctement, même dans un pays qui l'interdit. Alors qu'une femme pauvre devra se contenter des moyens du bord.
Des méthodes abortives dangereuses
Ces moyens mettent en danger les femmes. En France, avant la légalisation de l'avortement, les femmes utilisaient par exemple des aiguilles à tricoter. Il y a quelques mois, en Espagne, le droit à l'avortement a été menacé, et des associations féministes ont lancé une campagne très forte. On y voyait des femmes posant avec des cintres ou des aiguilles à tricoter avec le slogan "Nunca Mas", qui signifie "Plus jamais". La campagne a été efficace puisque l'Espagne vient de faire marche arrière.
A priori, les aiguilles à tricoter ne sont plus utilisées. Mais les méthodes barbares existent toujours. Médecins du Monde évoque des rayons de roue de vélo ou des baleines de parapluie introduits dans le vagin. Des femmes qui avalent de l'eau de Javel, se jettent du haut d'un escalier. Et certaines réussissent à se procurer des médicaments pour avorter, sauf que parfois il y a des surdosages ou ces médicaments sont de mauvaise qualité…
Contourner la loi pour avorter
Une femme a trouvé des moyens de contourner la loi. Elle s'appelle Rebecca Gomperts, et fait partie des 420 signataires de la pétition. Rebecca Gomperts a eu en 1999 l'idée d'emmener des femmes sur un bateau pour avorter dans les eaux internationales. À plus de 12 miles des côtes, c'est la loi du pavillon du bateau qui s'applique. Et comme cette femme est hollandaise et que l'avortement est légal aux Pays-Bas jusqu'à 22 semaines, c'est cette loi qui s'applique.
Son association "Women on waves" a mené plusieurs campagnes au large de l'Irlande, du Maroc, du Portugal. Elle a pu aider beaucoup de femmes, mais pas autant qu'elle le souhaitait, parce que souvent, ses expéditions étaient accueillies par des manifestations qui ont limité son action. Elle a alors lancé un site Internet, "Women on web", qui propose des consultations médicales à distance, avec des médecins qui échangent par mail avec les femmes et qui leur rédigent des ordonnances pour les deux médicaments utilisés pour l'avortement : le Misoprostol et Mifepristol. Ces médicaments sont ensuite envoyés par une firme indienne.
Cette pratique est tout de même dangereuse. Une femme peut mentir sur la date du début de grossesse ou d'éventuelles maladies qui l'empêcheraient de recevoir les médicaments. Mais ces risques ne sont rien comparés à ceux qu'elle prendra de toute façon. Au moins, elle ne reçoit pas de contrefaçons, elle connaît les bons dosages et peut être guidée si cela se passe mal. La consigne est de se rendre à l'hôpital en affirmant qu'elle est victime d'une fausse couche pour ne pas finir en prison. Le bémol : l'envoi des médicaments coûte 90 euros, ce qui est conséquent, mais des solutions sont trouvées pour celles qui n'ont pas les moyens.