IVG : pour Elisabeth Badinter, c'est au tour des hommes de se battre
Le 17 janvier 1975 a été promulguée la loi Veil légalisant l'interruption volontaire de grossesse. Mais ce droit qui semble définitivement acquis, ne l'est pas forcément. Elisabeth Badinter, philosophe, était l'invitée du Magazine de la santé ce mercredi 21 janvier 2015. L'occasion pour elle de faire le point sur les changements apportés par cette loi emblématique.
Après avoir évoqué ses souvenirs de femme et de militante, Elisabeth Badinter est revenue sur les implications de l'IVG sur le statut de l'homme et de la femme au sein de la société.
"On n'avait pas du tout prévu que [les femmes seraient désormais] dans le pouvoir absolu. [On a] toujours trouvé légitime que les femmes décident, en dernier ressort, décident 'est ce que je veux porter cet enfant ou pas', personne d'autre n'ayant à décider pour elles. Mais par ailleurs, personne n'avait vraiment perçu que, dotées de ce pouvoir absolu sur la reproduction humaine, il y avait une rupture d'égalité avec les hommes. C'est-à-dire que, finalement, une femme peut avoir des enfants avec un homme qui n'en veut pas, à aucun prix, et qui le dit. Ils sont assez désarmés…"
Mme Badinter note que, dans les années 70, les hommes refusaient catégoriquement d'envisager une contraception masculine, et que les lignes ont récemment bougé sur cette question. "Depuis quelques années, les hommes ont compris que ce serait peut-être bien qu'ils aient, eux aussi, un moyen de dire non."
Le statut des hommes...
Selon la philosophe, c'est désormais aux hommes de rejoindre les femmes pour défendre la contraception. Or, "ils n'ont pas l'habitude de parler des sujets de l'intimité. Ils n'ont pas l'habitude de militer pour eux sur ces sujets. Et je pense qu'ils auraient tout lieu de le faire."
"Pour ma part, je suis très indignée à chaque fois que j'entends une histoire d'enfant qu'on impose à un homme. Je trouve ça absolument insupportable. Et je n'entends pas beaucoup d'hommes en parler d'une façon objective. Il faut faire une demande pour que les laboratoires, l'Etat, le gouvernement se mobilisent aussi. Et là, il s'agit d'une rupture d'égalité."
... et celui des femmes
Elisabeth Badinter a par ailleurs souligné une seconde conséquence sociologique importante – et, selon elle, inattendue – du droit à l'IVG.
"En achevant de donner le pouvoir absolu aux femmes sur la reproduction, on a suscité pour les femmes en particulier un questionnement dont on avait pas du tout l'habitude avant les années 80-90. Et ce questionnement qui maintenant concerne toutes les femmes est le suivant : est-ce que je veux vraiment un enfant ? On n'est plus dans le schéma c'est la nature… et on ne se pose pas de question…"
"Maintenant on se demande si on est capable de donner suffisamment à cet enfant, si on est capable d'être une bonne mère étant donné que l'on est de plus en plus exigeant..."
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Au cours de l'interview, Elisabeth Badinter s'est également avouée inquiète d'un possible recul des moyens d'accès à l'IVG en France. Outre la question du manque de structures et d'une désaffection progressive des médecins pour la question de l'IVG, elle note surtout "le renouveau d'une idéologie intégriste" qui menace ce droit.