Les 15 ans du ''Magazine de la santé'' : les paroles du Dr Irène Frachon
Le nom d'Irène Frachon est indissociablement lié à l'affaire du Mediator, l'un des scandales sanitaires français les plus importants ces dernières années. Ce médicament produit par les laboratoires Servier serait responsable de 500 décès et 3.500 hospitalisations entre 1976 et 2009, selon une estimation de l'ANSM (ex-Afssaps). Pour nous, la pneumologue brestoise revient sur les suites de cette affaire et le rôle important des médias dans la résolution de ce dossier. Irène Frachon sera présente sur le plateau du "Magazine de la santé, pour les 15 ans de l'émission, le 26 février 2013, à 20h30, sur France 5.
- Où en est-on aujourd'hui dans l'affaire Mediator ?
Irène Frachon : "Pour le moment, on est en attente d'un procès au pénal. Cela pourrait traîner encore assez longtemps, mais on espère voir les choses évoluer en mai prochain."
- Environ 95 % des indemnisations examinées par le collège d'experts de l'Office National d'indemnisation des Accidents Médicaux (ONIAM) ont été rejetées, pourquoi ?
I. F. : "Deux choses peuvent expliquer ce taux élevé. D'abord, il faut savoir qu'au moins 50 % des dossiers, qui sont envoyés au collège d'experts, n'ont pas de rapport avec les pathologies liées à la prise du Mediator. Reste un vrai problème. Selon la projection des études épidémiologiques, le taux d'imputabilité des troubles observés à la prise du médicament tourne aux alentours de 75 %. Mais l'Oniam, lui, le ramène autour de 20 %.
"Il y a un vrai dysfonctionnement de ce collège d'experts, dont la méthodologie est défaillante, voire malhonnête. A tout cela, en plus, il faut ajouter les spécificités du droit français. En effet, pour qu'un dossier soit accepté, il faut prouver un lien certain et direct, entre la prise du médicament et les pathologies observées chez les patients. Or, dans le cas du Mediator, on ne peut parler, au mieux, que de fortes présomptions d'imputabilité."
- Vous aviez déclaré que ce scandale vous avait permis de découvrir la force et la capacité de désinformation des industriels, de leurs lobbies et parfois même des pouvoirs publics. Pensez-vous que cette force puisse en partie expliquer le taux de rejet ?
I. F. : "Non, je ne pense pas qu'un tel lien existe avec le collège d'experts. Simplement, les industriels connaissent bien les rouages du droit et savent tirer partie des moindres failles."
- La revue Prescrire a dévoilé en janvier 2013 une liste des "médicaments plus dangereux qu'utiles". Peut-on voir se profiler d'autres affaires comme celle du Mediator ?
I. F. : "Je ne vois pas d'autre scandale de même nature. L'affaire du Mediator est très particulière. Depuis plus de 10 ans, Servier savait que cette molécule était un poison violent, sachant que cela était démontré scientifiquement, comme sur le terrain. C'est inouï !
"Mais même s'il existe de nombreuses petites magouilles, je ne vois rien qui puisse égaler de tels agissements, ce qu'on pourrait qualifier de véritable pharmaco-délinquance. Le mot est dur, mais nous sommes dans un procès au pénal avec des mises en examen pour homicide involontaire, rien que cela."
- Que pensez-vous du traitement médiatique réservé à toute cette affaire ?
I. F. : "Les médias ont été de véritables alliés pour moi dans cette affaire. En général, ils ont traité l'affaire de manière engagée, sérieuse et précise, que ce soit dans les enquêtes comme dans la défense des victimes."
- Parler aux médias était un passage inévitable pour régler cette histoire ?
I. F. : "Oui, c'est même un passage complètement obligé. D'ailleurs je n'ai jamais caché que cela faisait partie d'une stratégie. Il fallait créer le buzz autour de cette histoire afin de percer le mur de la communication de Servier, et enfin révéler ce scandale au grand jour."
- Plus généralement, que pensez-vous de la médiatisation de la médecine ?
I. F. : "Les médias ont un rôle essentiel de traitement et la diffusion de l'information sur la santé. Cela change en quelque sorte le visage de la médecine. Avant, les médecins, de manière quelque peu paternaliste, gardiens de leur savoir, renseignaient leurs patients vus comme ignorants.
"Désormais, les informations sont partagées et confrontées. Il faut toutefois faire attention, car au sein des médias aussi, les industries pharmaceutiques sont très influentes. Cette proximité engendre un message biaisé qu'il n'est pas toujours très facile de percevoir."
- Et Internet ?
I. F. : "Pour le coup, il s'agit d'un milieu extrêmement influencé et perméable aux lobbies. On trouve de tout partout, dans des sites fourre-tout parfois partisans. Bien sûr tout n'est pas nul, mais là aussi, l'information est biaisée."
- Vous allez surfer sur le web ?
I. F. : "Oui, beaucoup. En fait, il y a des sites de recherche de documentations scientifiques et médicales très bien renseignés. Du coup, les patients sont aussi mieux renseignés qu'avant, et on en tient énormément compte. J'essaie toujours d'intégrer ces nouvelles données."
- L'affaire du Mediator et votre médiatisation soudaine vous ont-elles changée ?
I. F. : "Cette histoire a naturellement bouleversé ma vie personnelle et professionnelle. J'ai dû consacrer beaucoup de temps à la défense des victimes, aujourd'hui encore d'ailleurs. Heureusement, j'ai la chance d'être soutenue par mes collègues et l'hôpital de Brest.
"A la maison c'est pareil, mes enfants et mon mari sont restés derrière moi. Je crois qu'ils comprennent et soutiennent cet engagement. C'était important pour moi, surtout dans cette atmosphère de thriller."
- Le fait d'être passée à la télévision n'a pas augmenté la fréquentation de vos consultations ?
I. F. : "Non pas tant que ça. C'est assez rare que quelqu'un vienne me voir juste pour mon nom. Pour des renseignements sur le Mediator oui par contre. Je deviens médiatorologue avec le temps. Mais ce qui est agréable, c'est de voir que des patients s'engagent aussi dans ce combat, en achetant le livre, ou en ayant un mot gentil."
- Avez-vous un message à faire passer pour le "Magazine de la santé" qui fête ses 15 ans ?
I. F. : "Il y a une histoire très forte avec le Magazine de la santé. A la sortie de mon livre, livre que Servier voulait faire censurer, cette émission a été la seule à m'inviter sur son plateau. Une posture très courageuse. Alors tout ce que je souhaite pour ses 15 ans, c'est de rester dans l'information claire et précise avec la plus grande indépendance, en déjouant les pièges des influences. Et j'espère que l'engagement que j'ai pu apprécier se poursuivra toujours."
Irène Frachon sera présente sur le plateau du "Magazine de la santé, pour les 15 ans de l'émission, le 26 février 2013, à 20h30, sur France 5.
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