Les conséquences sanitaires des politiques d'austérité
Hausse du taux de suicide, multiplication des nouvelles infections par le HIV, retour de la malaria… Dans un article publié fin mars 2013 dans The Lancet, des experts issus des principaux observatoires de la santé européens dressent un premier bilan, très sombre, de l'impact des politiques d'austérité sur la santé des citoyens de différents états européens.
Le constat dressé par huit experts internationaux dans la revue The Lancet est sans appel : les plans d'austérité mis en œuvre en Grèce et au Portugal, en touchant en profondeur aux systèmes de santé de ces pays, ont rapidement touché de façon visible leurs populations.
Selon les auteurs de l'article, si le contexte de la crise laissait "anticiper une augmentation des taux de suicide", d'autres phénomènes sanitaires inattendus sont apparus… et semblent la conséquence directe des stratégies économiques de chaque nation. "Les contre-mesures destinées à lutter contre la crise ont provoqué d'importants effets sur la santé publique." Car, en dépit des principes édictés en 2008 par les ministres européens lors de la conférence de Tallin, selon lesquels "investir dans la santé, c'est investir […] dans la prospérité", certains états se sont résignés à réaliser des économies aux dépens de leurs systèmes de santé.
La Grèce comme cas d'école
De fait, la Commission européenne, le FMI et la Banque centrale européenne "[ont exigé de la Grèce] que les dépenses publiques de santé ne dépassent pas 6% du PIB" (ce, notent les auteurs, en dépit du fait que la santé soit considérée comme une question de gouvernance interne, […] créant un précédent dans l'Union européenne d'une prise de contrôle des systèmes nationaux de santé d'un pays"). Les économies ont essentiellement porté sur l'approvisionnement en médicaments et sur l'emploi des personnels de santé (réduction de 50% du personnel administratif de la sécurité sociale ou diminution de 25% du salaire des médecins). En 2011, le nombre de lits dans les hôpitaux publics est passé de 35.000 à 33.000. Parallèlement, la franchise hospitalière est passée de 3 à 5 euros par consultation.
En conséquence, "la proportion de personnes nécessitant des soins, mais ne pouvant y avoir accès, a très significativement augmenté" depuis l'instauration de la politique d'austérité. La distance aux sites médicaux et les temps d'attente sur place incitent les personnes malades à retarder le moment de leur prise en charge. Une situation générale qui, selon le coordinateur de l'étude, a très certainement favorisé la réapparition du paludisme et le développement de cas de dengue sur le territoire grec.
Mais la situation est plus grave encore : "les preuves s'accumulent d'une aggravation de la prévalence de troubles mentaux en Grèce durant les deux dernières années," notent les auteurs. Comparant les cinq premiers mois de 2010 et de 2011, le ministre de la Santé grec observait une augmentation de 40% des cas de suicide. Les troubles dépressifs graves présentent, sur d'autres périodes d'étude, des taux d'accroissement encore supérieurs.
Les auteurs parachèvent leur analyse en observant les conséquences de l'abandon de nombreux programmes de prévention. Exemple notable : les économies réalisées en 2008 avec l'arrêt des programmes d'échange sur les seringues pour les toxicomanes se sont traduits par une explosion du nombre de nouveaux cas d'infection par le VIH au sein de cette population, au lieu d'une quinzaine par an avant 2010, 256 nouvelles infections ont été recensées en 2011, et 314 sur la seule période couvrant janvier à août 2012.
Le Portugal suit-il le même chemin ?
Comme cela avait été le cas avec la Grèce, la Commission européenne, le FMI et la Banque centrale européenne ont exigé du gouvernement portugais d'importantes économies portant sur le système de santé national, à hauteur de 670 millions d'euros. Les dépenses publiques en médicaments ont été plafonnées à 1,25% du PIB en 2012 (contre 1,55% en 2010) et à 1% en 2013. Les salaires des employés de la fonction publique, figé en 2010, ont été réduits en 2011 et en 2012. Le ticket modérateur a au minimum doublé, et presque triplé selon les types de soins pratiqués. Or, si ces augmentations "ont été introduites pour réduire les visites non urgentes et inappropriées, 15% de la population portugaise ne sont pas inscrits auprès d'un médecin généraliste et comptent exclusivement sur les services d'urgence". Si enfants et personnes handicapées sont exemptés de nombreux frais médicaux, les auteurs observent que "les dépenses publiques de soutien aux familles ont été réduites de 30% en 2011".
Là encore, les conséquences de ces coupes budgétaires se sont rapidement traduites par une dégradation des conditions de santé des personnes les plus vulnérables. Entre 2011 et 2012, la mortalité hivernale chez les personnes de plus de 75 ans a augmenté de 10%. Si l'on peut attribuer une part de ces chiffres à la durée de la période froide et à la virulence particulière de la grippe, les auteurs de l'article du Lancet notent qu'à ce jour, selon des statistiques officielles, "40% des Portugais âgés de plus de 65 ans et vivant seuls n'ont pas les moyens de chauffer suffisamment leur habitation".
Les systèmes de santé espagnols et irlandais touchés depuis 2012
L'Espagne et l'Irlande, qui ont toutes deux adopté des plans d'austérité à la suite de la Grèce et du Portugal, ont également fini par céder sur la question de la réduction des coûts de santé publique. Les auteurs de l'article du Lancet invitent à être particulièrement attentifs au cas espagnol. Sur ce territoire, le plan de réduction des dépenses de santé de 7 milliards sur deux ans adopté en 2012 s'est déjà traduit par une réduction du nombre de lits d'hôpitaux dans certaines régions du pays ou par la diminution des heures de travail des personnels de soin. Parallèlement, la part des médicaments à la charge des retraités a été augmentée. Un décret royal a en outre restreint la couverture maladie des personnes étrangères en situation irrégulière, qui ne peuvent plus accéder qu'aux urgences et aux services de maternité ou de pédiatrie.
Faute à l'austérité ou à la récession ?
Parmi les pays très tôt frappés par la crise, l'Islande offre l'opportunité d'observer les conséquences pratiques du refus de l'austérité. La dévaluation de la monnaie nationale islandaise, conséquence indirecte du rejet du plan de sauvetage de l'économie proposé à la population (référendum de 2009), a entraîné un effondrement des importations, et une très forte récession. "Pourtant, les effets sur la santé ont été quasiment imperceptibles" soulignent les auteurs.
Les suicides n'ont pas augmenté, une enquête nationale révélant que la crise n'avait qu'un très faible impact sur le moral de la population. Les explications proposées sont de natures très diverses. Premièrement, "l'Islande a décidé d'investir dans sa protection sociale, et a couplé les mesures d'investissements à une incitation au retour à l'emploi." Par ailleurs, la récession a eu un effet direct sur la qualité du régime alimentaire des Islandais. La principale entreprise de fast-food a quitté le pays "du fait de l'explosion des coûts d'importation des oignons et des tomates (les ingrédients les plus coûteux entrant dans la composition des hamburgers). Les Islandais ont recommencé à cuisiner chez eux, et notamment du poisson, stimulant le revenu national issu de l'industrie de la pêche." Les auteurs notent en substance que la récession a enfin permis de resserrer les liens de solidarité entre Islandais, "plus que jamais unis dans la crise".
Des leçons pour l'avenir ?
Les auteurs souhaitent que l'analyse de la situation actuelle, initiée par leur travail, permette de tirer des leçons concrètes pour le futur. Toutes spécificités nationales prises en compte, les exemples actuels "[démontrent que] des mécanismes de protection sociale solides, qu'ils soient formels ou informels, parviennent à amenuiser certains effets négatifs de la récession sur la santé, parmi lesquels les suicides. […] Les mesures d'austérité peuvent exacerber l'effet à court terme de la crise sur la santé publique. Les coupes budgétaires, de même que l'augmentation des coûts de la protection sociale, réduisent directement les possibilités d'accès aux soins."
L'article du Lancet s'achève sur une note à la fois amère et accusatoire. Selon eux, trop de ministres de la Santé se sont tenus à distance respectueuse du débat sur les politiques d'austérité. En outre "le directeur général chargé de la santé […] de la Commission européenne, en dépit de l'obligation légale qui lui est faite d'examiner les conséquences des politiques européennes sur la santé, ne l'a pas fait [pour les pactes austérité imposés par l'Union européenne et le FMI], conseillant simplement les différents ministères de la Santé des pays membres sur la façon de couper dans les dépenses."
"[Certaines organisations issues de la société civile] se sont prononcées sur les effets des coupes budgétaires en matière de santé […]. Reste à savoir si quelqu'un les écoutera."
Etude de référence : "Financial crisis, austerity, and health in Europe", The Lancet, 27 March 2013, doi:10.1016/S0140-6736(13)60102-6
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