Mélanomes : des mutations caractéristiques dans l'ADN non codant
Quelles mutations génétiques expliquent le comportement anormal des cellules cancéreuses ? Pour répondre à cette question, les généticiens épient depuis des décennies la moindre anomalie dans les chaines d'ADN qui décrivent la composition de chaque protéine - et en permettent donc la synthèse. C'est pourtant loin de cette "bibliothèque d'instructions de production" qu'une équipe d'Harvard vient d'identifier des mutations caractéristiques de certaines cellules malignes…
Seul 3% de l'ADN humain code effectivement pour des protéines. Très longtemps, les généticiens ont considéré avec un mélange d'étonnement et de mépris les 97% restant, l'affublant du sobriquet "d'ADN poubelle". Ces dernières années, cependant, une partie de ces régions non codantes se sont révélées indispensables dans la régulation de l'expression des gènes. En retrait de la "chaîne de production" génétique, quelques séquences discrètes surveillent et régulent la cadence de la synthèse des protéines.
Or c'est là, dans ces vastes étendues moléculaires délaissées par les microscopes, que des généticiens d'Harvard viennent de réaliser une découverte importante.
Leurs travaux, publiés le 24 janvier 2013, dans la revue Science, ont porté sur le séquençage génétique de 70 prélèvements cellulaires effectués sur des mélanomes - un cancer fréquent touchant certaines cellules de l'épiderme et des muqueuses. A défaut de découvrir un nouveau dénominateur commun à l'ensemble des souches, les scientifiques ont pu observer avec intérêt que deux anomalies génétiques cohabitaient dans 50 des échantillons. Deux mutations présentes dans la zone non codante de l'ADN.
De telles découvertes sont exceptionnelles : si les spécialistes de la génétique savent débusquer des points communs entre des dizaines de séquences comptant pour plusieurs millions d'éléments, ils concentrent généralement leur effort sur les 3% "utiles" du génome.
La découverte des scientifiques d'Harvard démontre l'utilité d'aller chasser hors de ces sentiers battus. La double mutation observée dans 50 des 70 échantillons cancéreux ne sont vraisemblablement pas le fait du hasard. De telles variations dans les régions responsables de la régulation de l'expression du "code" offrent des pistes radicalement nouvelles pour comprendre les processus qui régissent l'apparition d'une tumeur.
Enthousiasmés par cette découverte, les généticiens d'Harvard ont par suite cherché la fameuse double mutation dans le génome d'autres types de cellules cancéreuses. Après examen de 150 prélèvements effectués sur des tumeurs du foie et de la vessie, le motif s'est révélé présent dans 16% des cas.
Il s'agit désormais de comprendre quelles variations de régulation sont induites par ces mutations. Il est encore trop tôt pour déterminer si ces anomalies peuvent ou non devenir la cible de futurs traitements. Cette découverte ouvre, en revanche, d'immenses perspectives d'explorations, démontrant l'importance de l'examen des moindres séquences du génome… fussent-elles localisées dans ce que l'on concernait, il y a encore peu de temps, comme une immense "décharge".
Source : "Highly Recurrent TERT Pormoter Mutations in Human Melanoma", Franklin W. Huang, Eran Hodis, Mary Jue Xu, Gregory V. Kryukov, Lynda Chin, Levi A. Garraway, Science, DOI: 10.1126/science.1229259
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