Préjudice d'anxiété : la vie avec une épée de Damoclès
Chaque semaine ou presque, de nouveaux salariés réclament réparation auprès des Prud'hommes, au titre du préjudice d'anxiété. Ce concept juridique a vu le jour en mai 2010 après des années de bagarre judiciaire. Il a en effet fallu en passer par la cour de cassation pour obtenir la reconnaissance de ce préjudice, qui bouleverse complètement le droit des salariés et la responsabilité des employeurs. Explications.
La crainte d'être emporté par une maladie professionnelle pèse sur les anciens mineurs comme une épée de Damoclès. En Lorraine, tous les puits ont été fermés. Aujourd'hui 800 rescapés des houillères de Lorraine réclament réparation devant les Prud'hommes au nom du préjudice d'anxiété. Alstom, Arkema, Arcelor Mittal... des milliers d'anciens salariés évoquent désormais ce préjudice et demandent justice.
En mai 2010, la cour de cassation ouvre la brèche en confirmant que des salariés de ZF Masson, une entreprise de l'Yonne sont bel et bien victimes de ce préjudice d'anxiété parce qu'ils ont été exposés à l'amiante. "Le préjudice réside dans le sentiment d'inquiétude permanent que peut ressentir la personne compte tenu de l'exposition au risque auquel elle a été soumise. Et tout au long de sa vie, elle va ressentir ce sentiment d'inquiétude car elle saura qu'à tout moment, elle peut développer une maladie plus ou moins grave mais éventuellement très grave", explique Jean-Yves Frouin, conseiller à la chambre sociale de la cour de cassation.
Cette décision fait jurisprudence et après quelques années de combat judiciaire, la majorité des plaignants sont désormais indemnisés. Mais pour Me Jean-Paul Teissonnière, avocat qui défend la plupart des victimes, le plus important est ailleurs. Plus besoin qu'une grave pathologie apparaisse, souvent après de longues années, pour obtenir justice.
En effet, grâce à la reconnaissance du préjudice d'anxiété, plus besoin d'attendre que le dommage, en l'occurrence que la maladie, apparaisse pour être considéré comme une victime, aux yeux de la justice. L'exposition à un risque avéré suffit désormais. Et c'est à l'employeur fautif et non plus à la société de payer : "Aux côtés de victimes de dommages corporels, maladies ou accidents, apparaît une nouvelle catégorie qui est la victime d'exposition. L'indemnisation est moins importante que pour une maladie ou que pour un accident mais elle est multipliée par le nombre de personnes qui ont été exposées. Et le résultat de cette indemnisation est tout à fait dissuasif pour l'employeur, ce qui fait que le droit retrouve des fonctions de prévention en termes de santé publique alors qu'il les avait perdues dans les maladies à effets différés".