Etes-vous dépendant affectif ?
C'est un terme à la mode et galvaudé. Or même s'il existe des formes incomplètes, la dépendance affective (ou amoureuse) répond à des critères très précis.
Les critères de la dépendance affective
Le trouble est souvent mis à toutes les sauces pour expliquer la jalousie, une souffrance importante après une rupture ou encore la soumission à un(e) partenaire toxique. "En réalité, le trouble de la personnalité dépendante se définit par un besoin général et excessif d'être pris en charge, ce qui conduit à un comportement soumis et collant ainsi qu'à une crainte de la séparation, explique la psychiatre Aurélia Schneider. Cela s'applique dans tous les domaines de la vie personnelle, sociale, professionnelle."
Cette définition précise se complète de 8 traits de fonctionnement mais 4 ou 5 suffisent au diagnostic.
- La personne a du mal à prendre des décisions dans la vie courante. "Toutes les décisions sont mises au même niveau, c'est aussi dur de choisir un appartement que de choisir de porter une veste blanche ou rouge !" précise le médecin. Elle a aussi un grand besoin d'être rassurée et n'hésite pas à bombarder de sms ou d'appels celui ou celle dont elle dépend.
- Elle a besoin que d'autres assument ses responsabilités à sa place.
- Elle du mal à exprimer un désaccord avec autrui par peur de perdre son approbation ou le soutien.
- Elle a du mal à prendre des initiatives et faire des projets par manque de confiance dans son jugement et dans ses capacités.
- Elle accepte ou propose de faire des choses désagréables pour obtenir le soutien des autres. "Mais plus vous faites des tâches ingrates, plus les gens vous exploitent et moins ils vous respectent alors que vous le faites pour leur plaire, déplore le Dr Schneider. Cela atteint le but inverse."
- La personne est envahie par un malaise quand elle est seule. "La solitude est mal vécue par crainte d'être incapable de se débrouiller seule".
- Lorsqu'une relation se termine, elle cherche de manière urgente et immédiate une autre relation qui apportera les mêmes garanties (de soutien, de soins, de réassurance). Elle sera par conséquent peu exigeante sur les qualités psychologiques et physiques du remplaçant.
- Dernier trait, elle est préoccupée de manière irréaliste par la crainte d'être livrée à elle-même, de se retrouver seule...
Un trouble sous-diagnostiqué et parfois plus modéré
La dépendance affective concernerait 0,7% des personnes (source : Manuel Merck) et il serait un peu plus fréquent chez les femmes. "Mais c'est un trouble sous-diagnostiqué car les patients concernés consultent pour la dépression, l'anxiété, les addictions ou les troubles psychosomatiques qui sont plus fréquents chez les dépendants, mais pas pour leur dépendance..." explicite la psychiatre. D'autant plus qu'ils estiment que leur besoin d 'être rassurées à ce point est tout à fait normal, tout comme celui d'avoir quelqu'un pour prendre des décisions à leur place...
De plus, "il y a des gens qui n'ont qu'un ou deux critères en plus de la définition de base, reconnaît la psychiatre. Par exemple, ils ont peur d'être seuls, ils ont du mal à exprimer leurs décisions ou qui se feront abuser par les autres. Mais ils pourront très bien prendre des initiatives ou vivre une rupture sans qu'elle ne tourne au drame. " Dans ces cas-là, le Dr Schneider conseille de consulter simplement s'il y a souffrance, quand il y a de l'angoisse ou une dépression, quand on sent qu'on a du mal à dire non, que l'on est la bonne poire sans trop de reconnaissance, que les autres ne nous respectent pas beaucoup et que l'on en souffre. De même, une consultation est indiquée quand il y a de nombreuses croyances négatives dans la tête du genre "je suis vraiment nulle", "je ne peux pas m'en sortir toute seule", "je n'arrive pas à me décider seule". Elle permettra de repartir sur des fondations plus saines et d'acquérir plus d'indépendance.
Une thérapie, la base du traitement
Le vrai dépendant affectif consulte rarement pour le problème de dépendance : " Il le fait pour une dépression ou de l'anxiété, ou c'est le plus souvent l'entourage qui n'en peut plus et le pousse à consulter, ajoute la psychiatre. Le médecin doit aussi y penser quand la personne se dit maltraitée, humiliée, harcelée, notamment quand cela se répète."
Il n'existe pas de traitement médical spécifique de la dépendance, même si certains antidépresseurs comme les IMAO ou les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine pourraient avoir une efficacité. C'est donc une thérapie comportementale et cognitive (ou une psychothérapie) qui permettra d'agir sur les difficultés d'affirmation de soi et la peur de l'indépendance.
"Ce sont des gens qui n'ont aucune autonomie donc le psychiatre doit la favoriser en les aidant à exprimer ce qu'ils pensent, ressentent et ce qu'ils veulent, explique le Dr Schneider. Ils apprendront à exercer un contrôle sur leurs propres pensées et comportements pour s'autonomiser et avoir moins besoin des avis des autres pour prendre des décisions. On leur apprend à avoir leurs propres besoins, leurs propres envies, leurs propres buts et avoir le sentiment plaisant de constater leur identité propre." Les objectifs fixés sont très progressifs et très ancrés dans la réalité (par exemple, aller au cinéma seul, choisir une machine à laver ou une trottinette, etc). Le manque de confiance en soi et le sentiment d'infériorité sont très présents et sont aussi travaillés avec le thérapeute pour reprendre confiance en soi et en ses capacités.
Peu à peu, la personne dépendante apprend ainsi à mener sa propre existence en toute autonomie...