Grossesse et médicaments : une association risquée
Le problème des médicaments pendant la grossesse a dramatiquement été remis en lumière avec les malformations foetales liées à un antiépileptique, la Dépakine®. Cependant, grossesse et médicaments est sujet récurrent, complexe, largement méconnu. Quels sont les risques ? Comment se passent les échanges entre la mère et le foetus ? Quid des effets foetotoxiques ? Les explications avec le Pr Alain Astier, pharmacologue.
Une étude de 2000 de Lacroix a montré qu'en France, une femme enceinte recevait en moyenne cinq médicaments pendant le premier trimestre de grossesse. Pour l'Europe, la moyenne est de moins de deux médicaments.
Médicaments pendant la grossesse : quels sont les risques ?
La grossesse peut être grossièrement séparée en deux périodes distinctes : une période embryonnaire qui correspond au premier trimestre d'aménorrhée (ébauche des organes, embryogenèse) et une période foetale qui correspond aux deuxième et troisième trimestres de grossesse (développement, maturation physiologique des organes déjà formés). En fonction de ces périodes, les médicaments ou les toxiques pris par la mère pourront agir sur le fœtus in utero.
Concernant les échanges entre la mère et le fœtus, le fœtus hébergé par l'utérus, baignant dans le liquide amniotique est relié à sa mère par le cordon ombilical issu du placenta, organe essentiel et unique d'échange. La mère fournit la totalité des besoins nutritifs : glucose, oxygène par son sang mais sans qu'il y ait mélange entre les sangs. Le foetus, qui n'a pas de capacité d'élimination propre, se débarrasse des déchets à travers le placenta, la mère se chargeant de les éliminer avec ses propres organes d'excrétion (foie, rein).
Les médicaments ou les toxiques suivront la même voie. En revanche, tous ne passent pas de la même façon dans le sang fœtal. Certains passent totalement, d'autres pas du tout. Donc, tout ce que prendra la mère (médicaments, toxiques, alcool, produits de combustion du tabac...) est susceptible de passer dans la circulation fœtale.
Les conséquences dépendront de la capacité de passage de la barrière placentaire, de la molécule incriminée mais aussi de la période de gestation. On peut observer trois types d'effets :
- des effets malformatifs ou tératogènes : premier trimestre avec des malformations irréversibles du fœtus. Ces effets concernent par exemple la thalidomide, la Dépakine®, l'isotrétinoïne (traitement de l'acné sévère qui nécessite une vérification de négativité des tests de grossesse avant délivrance).
- des effets foetotoxiques : dès le début du deuxième trimestre avec des retards de croissance des organes, des troubles de la maturation. C'est l'exemple des anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS).
- des effets néo et périnataux : exposition en toute fin de grossesse et pendant la délivrance. On aura des toxicités post-natales car les médicaments administrés à la mère durant cet accouchement se trouveront dans le sang des nouveau-nés et ne seront plus éliminés par la mère dès la coupure du cordon ombilical. Comme les capacités propres d'élimination du nouveau-né sont très réduites, ces médicaments vont persister très longtemps et poser des problèmes. C'est par exemple le cas des anesthésiques locaux, des antalgiques.
Médicaments pendant la grossesse : quid des effets foetotoxiques ?
Les effets foetotoxiques sont relativement fréquents et posent des problèmes complexes. En effet, si la mère a une maladie chronique (diabète, HTA...), elle prendra régulièrement des médicaments dont certains peuvent être toxiques.
Un exemple classique : les inhibiteurs de l'angiotensine II ou ARA-II, pour traiter la tension, une classe de médicaments très efficace, des médicaments bien tolérés et très largement utilisés comme les sartans, irbesartan, valsartan etc. Ils sont contre-indiqués pendant le deuxième et troisième trimestres de grossesse et sont déconseillés pendant le premier trimestre. Ils peuvent induire des morts fœtales, des insuffisances rénales fonctionnelles chez le futur enfant.
En cas de grossesse, il faut donc les arrêter et les remplacer par d'autres HTA (diurétiques, IEC). Idem avec les sulfamides pour le diabète. On propose de passer durant la grossesse à l'insuline, très sûre. En revanche, pour la metformine, elle serait dénuée de danger, voire diminuerait les fausses couches.
Un autre exemple très important est celui des AINS, aspirine comprise, au dessus de 500 mg, toutes formes confondues, même les gels et pommades. Problème : ils sont très généralement en vente libre. Le plus courant étant l'ibuprofène. Une recommandation de l'ANSM de 2009 a édicté une contre-indication à partir du sixième mois de grossesse. On a constaté des morts intra-utero, des morts néonatales, des atteintes rénales et cardiopulmonaires. En revanche, on peut utiliser sans crainte le paracétamol, de loin le plus sûr !
Médicaments pendant la grossesse : quelle conduite tenir ?
Il faut être extrêmement parcimonieux lors de la prescription de médicaments chez la femme enceinte. Il faut bien penser qu'il n'y a pas que les problèmes de tératogenèse, le premier trimestre, qui est à problème.
L'automédication est déconseillée surtout avec les AINS. Attention aussi aux compléments alimentaires à base de plantes qui peuvent être très toxiques. Enfin, il ne faut pas hésiter à évoquer ses craintes et poser des questions au médecin et au pharmacien.