La goutte de lait : une œuvre sociale contre la mortalité infantile
Léon Dufour, médecin pédiatre français du 19e siècle a joué un grand rôle dans le combat contre la mortalité infantile. Il a eu l’idée de créer des dispensaires pour distribuer des biberons de lait stérilisé aux mères pauvres et suivre les nouveau-nés. Retour sur ce médecin humaniste.
À la fin du 19e siècle, les bébés qui viennent de naître n’atteindront sans doute pas l’âge d’un an. En France, la mortalité infantile fait des ravages avec 1 nouveau-né sur 5 qui meurt avant 12 mois.
"La mort des enfants en bas-âge devient intolérable. C’est à la fois du point de vue politique une inquiétude pour l’avenir de la nation et pour la famille elle-même, c’est un déchirement. Les gens commencent à porter le deuil des enfants dans la 2e moitié du 19e", explique Sarah Scholl, historienne à l'université de Genève.
Près de la moitié des bébés meurent d’infections digestives. Les médecins, grâce aux découvertes de Pasteur, finissent par identifier un coupable, l’alimentation. En cette fin du 19es, la révolution industrielle a bouleversé l’allaitement maternel.
L'invention des biberons à tube
"Les femmes des classes populaires vont travailler quelque fois plus de 12 heures par jour à l’usine donc pour s’occuper d’un bébé, pour le nourrir toutes les 3 ou 4 heures, c’est extrêmement difficile", déclare Sarah Scholl.
Beaucoup de mères doivent passer à l’allaitement artificiel. Le lait de vache est une denrée chère et difficile à conserver. Parfois laissé sous la chaleur pendant des heures, on y ajoute de l’eau ou de la chaux pour lui redonner de la blancheur.
Le lait des villes à la fin du 19e siècle est plutôt un produit dangereux. Si l’allaitement artificiel tourne à l’empoisonnement, c’est à cause d’un objet a priori inoffensif… le biberon.
"On avait inventé des biberons à tube, c’est-à-dire qu’il y avait le contenant avec le lait, un long tube et puis une sorte de petite tétine. Ça avait l’air d’une invention géniale parce que le bébé pouvait téter quand il voulait sauf que dans ce tube, c’était un nid de bactéries qui devenait très dangereux pour le bébé", confie Sarah Scholl.
Un homme décide de partir en croisade contre ces biberons tueurs, il s’appelle Léon Dufour et il est médecin à Fécamp. Dans cette ville de bord de mer, la majorité des femmes travaillent dans les conserveries de poisson. La mortalité infantile, y est encore plus importante qu’ailleurs.
Une oeuvre de médecine sociale
"Léon Dufour est imprégné des idées de Pasteur et il a envie d’aider les populations, c’est un humaniste. Il va se rendre compte que pour le faire, il faut donner aux mères qui ne peuvent pas allaiter leur bébé, la possibilité d’offrir à l’enfant un lait de bonne qualité", explique Sarah Scholl.
Pour cela, il fonde en 1894 l’œuvre de la Goutte de lait. Avec une idée simple mais révolutionnaire de distribuer des biberons stérilisés aux mères ouvrières.
"Elles viennent chercher ces biberons, 6/8/10 selon l’âge du bébé. Ils sont tous prêts selon l’âge du bébé. Une bouteille pour chaque tétée, c’est un élément-clé, ça a l’air tout bête mais en fait cela permet de ne pas transvaser le lait donc d’éviter que des bactéries viennent dans le lait", confie Sarah Scholl.
En plus des distributions de biberons, le Docteur Dufour propose des consultations pour les nourrissons avec pesées hebdomadaires et examen clinique. Conçue pour les classes modestes, la Goutte de lait attire finalement des femmes de tous les milieux et les résultats sont spectaculaires.
L'ancêtre de la PMI
"Pour Fécamp, on a des chiffres très précis qui permettent de voir que les bébés qui fréquentent La Goutte de lait meurent 2 ou 3 fois moins que ceux qui ne fréquentent pas ce dispensaire", précise Sarah Scholl.
Ce modèle fait rapidement des émules au-delà des frontières et en 1912, on recense 160 Gouttes de lait à travers le monde.
"Les Gouttes de lait jettent les bases de ce qu’on connaît aujourd’hui avec les centres de PMI. Cela va vraiment changer la manière dont on s’occupe des nouveau-nés et de leur alimentation", conclut Sarah Scholl.
Le Docteur Dufour meurt en 1928 mais la Goutte de lait de Fécamp est la dernière à fermer ses portes, en 1972.