Réduire le taux de nicotine dans les cigarettes : l'écran de fumée de l'administration américaine
L’administration américaine souhaite abaisser la proportion de nicotine dans les cigarettes à un niveau non-addictif. Une mesure ineffiace, voire contre-productive, comme l’avait déjà montré l’expérience des "cigarettes légères".
Moins de nicotine dans les cigarettes égale moins de fumeurs, égale une diminution du nombre de morts à cause du tabac. Le raisonnement vient de l’agence américaine des produits alimentaires et médicamenteux (FDA). Celle-ci souhaite réduire le taux de nicotine à des "niveaux non-addictifs". "La très grande partie des décès et des maladies attribuables au tabac résultent de l'accoutumance aux cigarettes, le seul produit de consommation légal qui tue la moitié de toutes les personnes qui fument pendant longtemps", justifie le Dr Scott Gottlieb, l'administrateur de la FDA.
La logique paraît imparable. Sauf qu’elle se heurte à plusieurs écueils. Selon le Dr Sophie Vinao, tabacologue à l’Hôpital européen Georges-Pompidou (HEGP), les machines à fumer utilisées pour tester la présence de substance dans les cigarettes ne correspondent pas aux comportements des fumeurs. "Ces machines prennent une bouffée de deux secondes, une fois par minute à une certaine température. Personne ne fume comme ça", précise-t-elle. Des chercheurs de l’université de Georgetown aux Etats-Unis avaient déjà démontré en 2009 que l’interprétation des tests réalisés grâce à des machines à fumer était sujette à caution. Les taux de nicotine indiqués sur les paquets seraient donc tronqués, à la manière de ce qui a été réalisé par les industriels de l’automobile lorsqu’ils testaient les émissions de diesel sur des voitures roulant à une vitesse excessivement basse.
La réduction du taux de nicotine est contre-productive
Et même si les taux de nicotine étaient effectivement réduits à un niveau faible, les personnes addictes ne s’arrêteraient pas de fumer. Au contraire : "un fumeur a besoin d’un certain taux de nicotine dans le sang pour ne pas être en manque", explique le Dr Vinao. Pour satisfaire son besoin, il "sera capable de tirer sur sa cigarette tout ce dont il a besoin pour ne pas être en manque". En inhalant plus de fumée, en tirant plus de bouffées ou en fumant plus de cigarettes. D’où l’échec en termes de santé publique des "cigarettes lègères". La réduction du taux de nicotine sera contre-productive pour les fumeurs accrocs. Mais profitable pour les industriels du tabac, qui vendront leurs produits à bas taux de nicotine en plus grande quantité. "Les addicts n’ont pas le choix, affirme le Dr Vinao. Soit ils arrêtent de fumer, soit ils se ruinent en tabac. Ils trouveront toujours une façon pour combler leur manque de nicotine."
Cette mesure pourrait toutefois éviter de faire tomber plus de personnes dans l’addiction au tabac. La nicotine est "extrêmement addictogène" confirme le Dr Vinao, car elle parvient très vite au niveau du cerveau après une bouffée de cigarette. Rien de nouveau, puisque les récepteurs nicotoniques ont été très bien identifiés. D’autres susbtances sont probablement à l’origine de l’addiction, "mais on n’en a pas de preuves", selon la tabacologue. La présence de nicotine en faible proportion ne garantirait donc pas que l’addiction ne naisse pas chez les nouveaux fumeurs.
Plutôt que de s’attaquer au taux de nicotine, les responsables publics doivent encourager les fumeurs à arrêter par des politiques qui ont déjà prouvé leur effiacité pour lutter contre la première cause de mort évitable aux Etats-Unis (et en France). En augmentant le prix du paquet subitement, comme la ministre de la Santé l’a proposé début juillet, ou en développant l’accompagnement des fumeurs à l’arrêt. Et en évitant que les jeunes se mettent au tabac, grâce à des campagnes de prévention notamment. Une fois ces mesures adoptées, les administrations des pays développés pourront toujours retirer la nicotine des cigarettes pour déstresser leur population.