Levothyrox : vos questions, nos réponses
Depuis plusieurs semaines, la nouvelle formule du Lévothyrox, traitement contre les problèmes de thyroïde, suscite l'inquiétude après des milliers de signalements d'effets secondaires. Trois millions de personnes prennent ce médicament en France.
Levothyrox : l'inquiétude grandit
L'inquiétude grandit chez les patients sous Levothyrox, nombreux à réclamer le retour à l'ancienne formule du médicament. Vendredi 8 septembre 2017, un rassemblement devant l'Assemblée nationale a été organisé par l'association française des malades de la thyroïde.
Des dizaines de malades de tout âge venus de toute la France sont venus manifester leur colère et leur incompréhension. Le Levothyrox qu'ils prennent pour certains depuis des décennies a été modifié à la demande l'Agence du médicament (ANSM) en mars 2017. Depuis, ces patients souffrent d'importants effets secondaires.
À ce jour, 9.000 cas d'effets indésirables ont été recensés par les services de pharmacovigilance. En France, le Levothyrox est le seul médicament disponible sur le marché. Face à l'accumulation des plaintes, l'ANSM a mis en place un numéro vert (le 0.800.97.16.53) à la fin du mois d'août. Une mesure insuffisante et qui, pour les malades, arrive beaucoup trop tard.
Aux côtés des victimes, la députée européenne Michèle Rivasi reproche aux pouvoirs publics une mauvaise gestion de la crise : "On a un système d'alerte au niveau de l'Agence nationale de sécurité des médicaments qui ne fonctionne pas. Il est anormal qu'on ait attendu trois mois pour répondre à la souffrance des victimes", a-t-elle déclaré lors d'une conférence de presse. La comédienne Anny Duperey, elle aussi sous traitement, a fait part de son indignation à travers une lettre adressée à la ministre de la Santé.
La réponse ne se fait pas attendre. Trois jours après, la ministre, Agnès Buzyn, tente d'éteindre l'incendie sur RTL : "Il n'y a pas de fraude, il n'y a pas de complot, il n'y a pas d'erreur. Il y a eu un problème d'information des malades. L'information n'est pas descendue et donc les patients se sont retrouvés surpris d'une formulation qui avait changé et qui pour certains, donnait des effets secondaires. Mais ils s'estompent quand on arrive à bien doser le traitement". Sans solution, ni retour à l'ancienne formule, l'association des malades de la thyroïde a décidé de porter plainte contre X pour mise en danger de la vie d'autrui.
Pourquoi a-t-on changé la formule du Levothyrox ?
Les réponses avec le Dr Hervé Monpeyssen, thyroïdologue, et avec le Pr Alain Astier, chef du service pharmacie au groupe hospitalier universitaire Henri-Mondor (Créteil) :
"La formule du Levothyrox ancienne n'était pas très bonne pour plusieurs raisons. Tout d'abord, ce sont de toutes petites quantités, des comprimés à 25 microgrammes. En terme technique, quand vous faites un mélange dans certaines conditions, il est très difficile d'avoir d'un lot à l'autre une concentration réelle dans le mélange qui soit exacte. Et cela dépend beaucoup des excipients. À l'époque, l'excipient était essentiellement du lactose, un excipient très classique… Cette formulation n'était probablement pas adaptée et variait beaucoup d'un lot à l'autre. Deuxièmement, la substance active de ce produit est assez instable et donc se dégrade assez facilement. Et en fonction de l'ancienneté du lot, il pouvait y avoir des teneurs réelles qui n'étaient pas celles nominales, c'est-à-dire indiquées sur la boîte."
"La France est le premier pays à avoir expérimenté cette nouvelle formule. On avait des problèmes d'équilibre de patients de façon ponctuelle. C'est-à-dire qu'on avait un patient parfaitement équilibré et un jour il avait un déséquilibre. On essayait de comprendre les raisons de la survenue de ce déséquilibre… On réalisait une enquête policière pour savoir pourquoi il y avait un déséquilibre. Ce qui nous a impressionnés, c'est le nombre de demandes que l'on a eu brutalement concernant ces troubles de l'équilibre thyroïdien. La France est le premier pays mais il est prévu que tous les pays européens utilisent cette nouvelle formule plus stable que l'ancienne."
Pourquoi les patients n'ont-ils pas été informés du changement de formule ?
Les réponses avec le Dr Hervé Monpeyssen, thyroïdologue :
"Les 100.000 professionnels de santé (médecins et pharmaciens) ont été informés. Les endocrinologues ont été informés depuis le mois d'octobre 2016. Les médecins généralistes et les pharmaciens ont été informés à partir du début de l'année 2017. Nous avons été prévenus par Internet, par courrier. Nous sommes en quelque sorte prescripteurs, utilisateurs. On prescrit un médicament et on sait que si la formule a été changée, c'est pour aller dans le bon sens.
"En tant que spécialiste de la thyroïde, quand on voit nos patients une fois par an, c'est déjà bien. J'ai prévenu mes patients qu'il allait y avoir un changement mais nous n'avons pas le droit de faire un courrier circulaire pour informer tout le monde. Et je ne suis pas sûr que le laboratoire ait le droit de le faire non plus. C'est le problème."
Nouvelle formule du Levothyrox : comment gérer les effets indésirables ?
Les réponses avec le Dr Hervé Monpeyssen, thyroïdologue :
"Cette patiente prend du poids ce qui est plutôt du registre de l'hypothyroïdie, et elle est agressive, ce qui est plutôt du registre de l'hyperthyroïdie. Il est donc difficile de statuer sur le cas de cette personne. Il est évident que ces patients ont des symptômes qui se regroupent plutôt en tendance hyper, plutôt tendance hypo. Et quand on équilibre leur formule, les choses vont bien. Ce qui nous pose problème, ce sont les patients qui restent à TSH constante et qui décrivent ces mêmes symptômes, ces mêmes associations symptomatiques. Pour ces patients, nous n'avons pas encore la réponse mais on y travaille.
"On se doit d'équilibrer les patients que l'on reçoit. Cela représente un patient sur cinquante. Cela est extrêmement ponctuel. Il existe beaucoup de cas car trois millions de personnes sont sous Levothyrox mais pour 49 patients sur cinquante, tout se passe bien et il n'y a aucun problème.
"Equilibrer la quantité d'hormones disponibles dans le sang est assez simple à réaliser. Mais il faut probablement un peu plus de temps pour éliminer les signes qui se sont installés. Le produit est sur le marché depuis cinq mois. Avec les stocks qu'il y avait chez les patients et chez les pharmaciens, les patients sont avec la nouvelle formule depuis deux mois. Donc il faut nous laisser un peu de temps pour qu'on arrive à équilibrer les bilans et que les patients aillent mieux. D'ici la fin de l'année, la majorité des patients auront recouvré un équilibre satisfaisant."
Peut-on arrêter son traitement en cas d'effets secondaires ?
Les réponses avec le Dr Hervé Monpeyssen, thyroïdologue :
"Il existe trois familles de patients traités par le Levothyrox. Il y a tout d'abord des patients qui n'ont plus de thyroïde et qui ont un besoin vital de Levothyrox. Dans ce cas, il ne faut surtout pas arrêter son traitement car il peut y avoir des problèmes à court terme. D'autres patients ont une thyroïde qui fonctionne un peu moins bien et de moins en moins bien. Ces patients ne doivent pas arrêter leur traitement parce qu'ils vont se retrouver rapidement en hypométabolisme. Enfin, il existe une troisième famille de patients. Ce sont les patients traités par le Levothyrox pour des nodules thyroïdiens. Pour ces personnes, il n'y aura pas beaucoup de problèmes à arrêter le traitement. Chez eux, on n'a pas constaté beaucoup d'effets. Il faut rappeler aux patients qu'ils ne doivent arrêter leur traitement qu'à partir du moment où leur médecin ou leur endocrinologue leur a donné le feu vert pour le faire. Il ne faut jamais arrêter son traitement seul, sans l'avis d'un médecin."
Effets indésirables du Levothyrox : la faute aux nouveaux excipients ?
Les réponses avec le Pr Alain Astier, chef du service pharmacie au groupe hospitalier universitaire Henri-Mondor (Créteil) :
"Le mannitol et l'acide citrique sont des produits extrêmement connus, anciens. On trouve de l'acide citrique dans les jus de citron, c'est un composé naturel du jus de citron. On trouve aussi du mannitol partout. Autant il y a des intolérances au lactose qui sont décrites, en revanche des intolérances au mannitol n'ont pas été décrites. Ce sont des excipients totalement banals, ils n'ont rien de spécial. L'intérêt d'avoir ce type d'excipients, notamment l'acide citrique, c'est que l'on sait que la stabilité de la lévothyroxine, du principe actif, dépend du pH, c'est-à-dire du degré d'acidité. Donc si on a dans la formulation quelque chose d'acide, cela va stabiliser la molécule. Il est donc astucieux de mettre de l'acide citrique comme excipient pour que le produit soit le plus stable possible.
"Je ne vois pas scientifiquement ce qui peut expliquer qu'en remplaçant le lactose par le mannitol, on obtienne ces effets indésirables. Cette substitution peut modifier l'absorption du produit, ce qu'on appelle la biodisponibilité. On peut dans ce cas avoir des soucis de surdosage mais on peut le rééquilibrer.
"En France, les excipients sont responsables de tout. C'est le même problème avec les génériques. On pointe toujours du doigt les excipients. Dans beaucoup de pays, qu'il s'agisse d'un excipient A ou B, cela ne change pas grand-chose. Il existe des excipients dits à effet notoire, ils sont clairement identifiés et déterminés. L'alcool est par exemple un excipient à effet notoire. Mais l'acide citrique et le mannitol ne sont pas à effet notoire. Le mannitol a une action laxative à très fortes doses qui correspondent à l'équivalent de 200 ou 300 comprimés de lévothyroxine. Donc éventuellement, il peut y avoir des effets secondaires liés à un effet laxatif, si on prend des grandes quantités de mannitol, utilisé comme laxatif classique. Mais je n'ai pas d'explication sur ces effets pour ces patients."