"Médecin, Lève-toi !" : un ancien généraliste dénonce des attitudes inhumaines dans les hôpitaux
Philippe Baudon, médecin à la retraite, a vu sa femme mourir d’une tumeur cérébrale. Choqué par le traitement qui lui a été réservé à l’hôpital, il a décidé de relater ce tragique événement dans un livre-témoignage, "Médecin, Lève-toi !".
"J’ai réécrit mon livre à peu près 12 fois" confie le Dr Philippe Baudon, qui a finalement publié son témoignage, Médecin, Lève-toi !, le 8 novembre dernier. Cet ancien généraliste, lauréat de l’Académie nationale de médecine, veut aujourd’hui lancer l’alerte. En service de cancérologie dans un grand hôpital parisien, il a assisté, impuissant, au décès rapide de sa femme, victime d’une rare tumeur cérébrale. Si ses chances de guérison étaient faibles, Philippe Baudon déplore un grave manque d’empathie de la part des praticiens, qui ont réduit les espoirs de sa conjointe à néant. "En cancérologie, parfois, le patient n’est plus considéré comme un être humain", constate-t-il, amer.
L’empathie souvent considérée comme une perte de temps
Le Dr Baudon restera plusieurs mois à l’hôpital au chevet de sa femme. Parfois, il ira à la rencontre des autres patients ou de leurs proches, pour échanger et tenter de les rassurer. Et il réalisera, au fil des jours, que l’empathie est bien souvent considérée comme une perte de temps en cancérologie. "D’après les infirmières, ce phénomène s’intensifie depuis une bonne dizaine d’années", précise-t-il. L’exemple de sa conjointe, à qui il a diagnostiqué un glioblastome, est éloquent. Une fois hospitalisée, celle-ci demande à son praticien référent quelles sont ses chances de survie. Sa réponse est lapidaire : "Madame, si dans six mois vous êtes toujours en vie, compte tenu de votre pathologie, vous ferez partie des 5% de survivants."
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L'épouse du Dr Baudon décèdera effectivement quelques mois plus tard, après avoir suivi un traitement expérimental. Comment expliquer ce comportement de la part de son médecin ? Plusieurs éléments sont à prendre en compte. Le contexte juridique tout d’abord. "C’est ce qui dicte l’attitude des médecins. Ils doivent tout dire pour ne pas qu’on leur reproche quoique ce soit", explique-t-il. Selon lui, en cancérologie, la plupart des praticiens agissent selon un protocole tout tracé. "On s’oriente vers une médecine robotisée", résume le Dr Baudon.
"On n’appelle pas ça des expérimentations, mais de la recherche"
Mais la pression de la recherche est aussi à prendre en compte : pour se démarquer, les cancérologues doivent publier dans de grandes revues. "Ils s’engagent vis-à-vis des laboratoires pharmaceutiques à faire des études sur des sujets vivants. On fait signer des documents aux patients pour recueillir leur consentement, puis on leur administre des médicaments hors autorisation de mise sur le marché", explique Philippe Baudon. Chez des patients gravement malades, on se dit que c’est un risque à prendre. Résultats : selon l’ancien généraliste, certains meurent des effets secondaires du traitement, et non de leur maladie. "On n’appelle pas ça des expérimentations, mais de la recherche. On substitue un mot à un autre", précise-t-il.
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Autre élément d’explication : le surmenage des soignants. "Sur-stresser le corps médical est une aberration qui ne mènera qu’à l’impasse", affirme le Dr Baudon. Débordés, en manque de moyens et de personnel, certains médecins deviennent "toxiques". Mais pour Philippe Baudon, les passages à vide et les dépressions, s’ils restent des circonstances atténuantes, ne sont en rien des excuses. "Si nous, médecins, avons choisi d’exercer ce métier difficile et tourné vers autrui, quitte à s’exposer au burn-out, aucun malade, lui, n’a choisi d’être malade", assène-t-il.
Peu de cours d’empathie en médecine
Comment remédier à cette situation ? "Je voudrais que « l’empathie est obligatoire » soit affiché dans certains services", clame Philippe Baudon. Car à ce jour, peu de leçons sur l’empathie sont dispensées au cours des études de médecine. Il est pourtant simple, selon lui, de rassurer un patient. "Ça prend deux minutes : c’est un petit coucou, on demande si tout va bien. La personne a été individualisée, ça lui fait un bien fou !" assure le Dr Baudon. D’après la Haute Autorité de Santé, une absence de dialogue entre le médecin et son patient a des conséquences directes sur la qualité des soins. Philippe Baudon va plus loin, et affirme qu’un défaut de communication génère une surmortalité : "Des études ont montré qu’un réel échange augmentait de l’efficacité du traitement de l’ordre de 15 à 20%."
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Mais l’ancien médecin tient à rassurer : son essai est avant tout un "message d’espoir". En attestent les nombreuses anecdotes qu’il dissémine çà et là dans son récit. Toute sa carrière, il a tenté d’accompagner au mieux ses patients et leurs proches en atténuant le négatif, et n’a jamais arrêté son diagnostic aux premiers signaux alarmants. Il invite les futurs médecins à en faire de même, et rappelle que rien n’est possible sans travail de groupe. "Le corps médical se doit d’être une véritable équipe, qui échange, réfléchit, informe, partage dans l’unique but de guérir le patient", résume-t-il.