Les lobbies de la cigarette électronique
Le lobbying, c'est travailler en coulisses, tenter de faire pression, d'influencer les pouvoirs publics et plus concrètement la réglementation. Et le dossier de la cigarette électronique est un cas typique car tout est à construire. Il n'existe encore aucune réglementation. Les explications avec Rudy Bancquart.
L'idée n'est pas de revenir sur le débat de santé publique, à savoir si la cigarette électronique est dangereuse ou pas, mais de pénétrer les coulisses de ce dossier. Car différents groupes de pression veulent faire entendre leur voix pour que les lois à venir sur l'utilisation de ces cigarettes leur soient favorables.
Le lobby de l'industrie du tabac
L'industrie du tabac est un lobby très puissant. Elle a un argument de poids auprès des pouvoirs publics car les taxes sur le tabac représentent pour l'Etat près de 10 milliards d'euros par an. L'arrivée de la cigarette électronique représente donc pour eux un manque à gagner important. D'autant que, pour la première fois, depuis dix ans le marché du tabac a enregistré une baisse significative depuis un an.
L'industrie du tabac a réagi et a mis en branle des actions de lobbying. Si tout se fait normalement dans la discrétion la plus totale, récemment ils se sont fait prendre en flagrant délit. C'était en juin 2013, 42 députés du club des parlementaires amateurs de havanes, groupe présidé par André Santini, étaient invités à déjeuner par l'industrie du tabac pour un montant de 10.000 euros. Pendant le repas, la présidente d'un gros fabricant de cigarettes a interpellé les élus sur la nécessité d'avoir une "réglementation équilibrée et cohérente". Voulait-elle dire que les cigarettes électroniques devraient être soumises aux mêmes taxes et aux mêmes règles que la cigarette normale ?
Suite à ce déjeuner, M. Lazaro député du Nord a déposé un amendement en juin 2013 pour une vente exclusive des cigarettes électroniques chez les buralistes.
Le lobby des laboratoires pharmaceutiques
Les laboratoires pharmaceutiques sont aussi des acteurs du marché du tabac car ils sont les fabricants exclusifs des patchs et des gommes à mâcher.
Pour les industriels, la cigarette électronique est un concurrent sérieux. Surtout quand on sait que le chiffre d'affaires en France de la cigarette électronique dépasse aujourd'hui les 100 millions d'euros, plus que l'ensemble des ventes des substituts nicotiniques. Les laboratoires ont donc tout intérêt à ce que ce pactole arrive dans leurs poches plutôt que dans celles de vendeurs lambdas.
Le lobby des pharmacies
Pour l'instant, la réglementation est claire : "les cigarettes électroniques ne peuvent être vendues en pharmacie", selon l'Agence du médicament. Mais malgré cette interdiction, on en trouve chez certains pharmaciens.
Tout le problème pour le lobby de la pharmacie vient de la catégorie dans laquelle le gouvernement va décider de placer la cigarette électronique : soit la cigarette électronique sera un produit du tabac et ils ne pourront pas la vendre, soit ce sera un médicament en vue d'un sevrage tabagique et alors ils pourront les vendre en exclusivité au même titre que les patchs. Cette bataille se joue au Parlement européen qui doit se prononcer sur cette question en octobre 2013.
Concernant le lobby de la pharmacie, il faut mentionner un détail gênant. En mai 2013, Marisol Touraine, la ministre de la Santé, a demandé un rapport sur la cigarette électronique qu'elle a confié au Pr Dautzenberg, éminent pneumologue. Il préconise notamment d'encadrer la vente. Le problème est que le Pr. Dautzenberg participe régulièrement à des conférences rémunérées par des géants du médicament pour venter les mérites des substituts nicotiniques. En 2010, ces rémunérations ont été versées à son association (OFT) et en 2008, il a reçu des rémunérations personnelles. C'est ce qu'on appelle des liens d'intérêt.
Le lobby des fabricants de cigarettes électroniques
En l'absence de réglementation, les fabricants de cigarettes électroniques en profitent. Il s'agit d'un nouveau marché en pleine effervescence, les boutiques fleurissent. 600 boutiques ont déjà été créées en France. Du coup, ils s'organisent et ils ont créé le CACE (collectif qui regroupe les acteurs de la cigarette électronique). Pour faire valoir leurs intérêts, ils viennent de faire appel à une grosse agence de relations publiques chargée du lobbying, Havas.
Des rencontres avec des parlementaires et avec les membres du cabinet de la ministre ont déjà eu lieu. Ils essaient de faire valoir la création d'une licence qui permettrait la vente exclusive de cigarettes électroniques et ils ont un argument : la création d'emploi. Et en ces temps de crise, les politiques y sont très sensibles. L'arrivée de la cigarette électronique a déjà permis de créer 2.000 emplois.
Où en est-on de la réglementation ?
En France, pour le moment, on attend les décisions de la ministre. Elle a récemment interdit la vente aux mineurs ce qui est un début. Affaire à suivre donc.
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