Burn out infirmier : "J'aime mon métier, mais je suis incapable d’y retourner"

Face à des conditions de travail difficiles amplifiées par la crise du coronavirus, les infirmiers sont aujourd’hui épuisés et nombreux sont ceux qui envisagent de quitter la profession. Nous avons recueilli leurs témoignages.

Laurène Levy
Rédigé le , mis à jour le
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Image d'illustration.  —  Crédits Photo : © Shutterstock / Anna LoFi

"Fatigués", "à bout", "la peur au ventre", "dégoûtés"… Les infirmiers n’en peuvent plus. Une enquête de l’Ordre national des infirmiers révélait le 11 octobre qu’ils étaient 57% à se trouver en situation d’épuisement professionnel, soit presque deux fois plus qu’avant la crise sanitaire du coronavirus.

Une réalité qui s’observe sur le terrain, partout en France. "Chaque matin, je me demande pendant un quart d’heure si je vais au travail ou si j’appelle mon médecin pour me faire arrêter", confie Danièle*, 35 ans, infirmière depuis 15 ans aux urgences de Marseille.

"J'ai du mal à dormir, je suis sensible, à fleur de peau" explique Camille, 24 ans, infirmière intérimaire en Picardie. "Nous avons absorbé une surcharge de travail incroyable, avec au moins deux heures supplémentaires chaque jour et tout cela sans organisation, sans matériel et sans équipement" raconte la jeune femme.

C’est aussi le cas de Stéphanie, 41 ans, infirmière depuis 17 ans dans le Maine-et-Loire, qui constate que "la vie personnelle n’existe plus, il faut juste combler les trous dans le planning". Résultat, "je n’ai plus le temps pour l’humain et ça me pèse énormément" souffle-t-elle.

"Pas préparés à affronter la mort"

Pour Cécile*, 38 ans, infirmière en hôpital public dans le Loiret, la crise et l'isolement qui lui a été imposé ont été "la goutte d’eau qui fait déborder le vase" : "J’avais déjà des signes d’épuisement professionnel. J’ai fait un burn-out fin mars et j’ai été arrêtée trois mois."

Béatrice*, 54 ans, cadre de santé infirmier dans les Côtes d’Armor, a de son côté "tenu tout le temps de la crise". Mais, "fin mai, quand il a fallu organiser la reprise de l’activité, mon corps a dit stop" raconte-t-elle. Depuis, cette cadre de santé est en arrêt de travail : "J’aime mon métier mais je suis incapable d’y retourner sans pleurer ou faire une crise d’angoisse."

Ce qui l’a fait craquer, c’est surtout la "violence inouïe" de la situation et le traumatisme de soutenir des infirmiers qui n’étaient "pas préparés à affronter la mort" : "ce n’est pas le médecin qui tient la main d’un patient quand il meurt, ce sont les infirmiers et les aides-soignants, même s’ils n’y ont jamais été formés."

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Le dégoût de ne jamais être écoutés

Mais c’est aussi, comme pour beaucoup d’entre eux, le sentiment trop souvent répété de ne pas être entendus. "A l’issue de la première vague, j’ai fait le choix de poser ma démission de l’hôpital public à cause d’un dégoût de ne pas avoir été écoutée" témoigne Marie, 24 ans, infirmière en Ehpad dans la région de Mulhouse.

Un manque d’écoute qui ne date pas de l’épidémie de coronavirus. "La crise a mis en exergue ce qu’on dénonce depuis des années : les décideurs n’écoutent pas les gens qui sont sur le terrain" déplore Béatrice*.

Pour ces soignants, le covid n’est donc pas la cause de leur épuisement, mais son catalyseur. "Aux urgences, on a toujours eu des burn-outs chaque année, parce qu’en France, la profession d’infirmier est psychologiquement très violente. Mais le covid a amplifié le phénomène" note Danièle*.

L’appréhension de la deuxième vague

Et la situation pourrait encore empirer, à l’approche d’une deuxième vague épidémique. "Nous l’appréhendons tous" reconnaît Stéphanie.
Dans le domaine de la psychiatrie, "on essuie encore les plâtres de la première vague qui a entraîné beaucoup de troubles psychologiques et on n’a pas envie de revivre encore la même situation", raconte Maxime*, 24 ans, infirmier en Franche-Comté.

A Marseille, où travaille Danièle*, c’est déjà le cas. "Les urgences débordent, les patients non covid sont sur des brancards dans les couloirs et les gens deviennent agressifs car ça ne va pas assez vite" raconte-t-elle.

"C’est déjà l’horreur, on a peur et on sait que la grippe et la gastro vont arriver et remplir encore davantage les urgences" s’inquiète-t-elle. D’autant que sur l’ensemble du territoire "beaucoup d’infirmiers ont quitté leur poste et personne ne postule pour les remplacer" ajoute Stéphanie.

Ni reconnaissance, ni soutien, ni revalorisation

Car la profession n’attire plus, pour plusieurs raisons. Déjà, il y a le manque de reconnaissance. "On est à la disposition de l’hôpital, et l’État ne nous fait aucun remerciement" déplore Camille.

Pas de reconnaissance, mais pas non plus de soutien, dénonce Béatrice* : "nous prenons soin des gens mais on ne nous donne pas les moyens de prendre soin de nous".

A cela s’ajoutent le manque de revalorisation salariale et une prime covid ridicule, voire inexistante pour les infirmiers intérimaires comme Camille. "On nous applaudit à 20h, on nous promet des primes et dès que c’est fini, on n’a plus rien" regrette Maxime* qui témoigne d’un sentiment de "ras le bol général". Pour Béatrice*, "il faut arrêter de dire que notre métier est une vocation. Oui, il faut de l’altruisme et de l’humanité mais nous ne sommes pas non plus dans l’abnégation".

"Je n'exerce que depuis deux ans, mais c’est invivable"

Résultat, nombreux sont ceux qui envisagent une reconversion ou une expatriation. "Je n'exerce que depuis deux ans, mais c’est invivable" confie Camille. La solution qu’elle envisage est de partir travailler en Suisse.

Marie y pense aussi pour l’année prochaine et les deux infirmières sont unanimes : la Suisse offre un salaire plus décent et des conditions de travail plus humaines. "Là-bas, ils sont six infirmiers pour 14 patients. Pendant la crise ici, on comptait une seule infirmière pour 120 résidents en Ehpad" compare-t-elle, avant de reconnaître : "si je n’avais que le choix de la France, je ne tiendrai pas 10 ans."

Danièle* essaye de son côté de passer à mi-temps avant d’arrêter le métier d’infirmière dans l’année qui vient pour monter sa propre entreprise de coach en communication. Même échéance pour Stéphanie : "l’année prochaine, je prends une décision pour évoluer, peut-être devenir formatrice dans une école d’infirmiers."

"Changer de métier, mais pour faire quoi ?" se demande enfin Cécile*. "Avec un diplôme d’infirmière, on peut être infirmière scolaire, en clinique ou en Ehpad. Les problèmes y sont différents mais la surcharge de travail et le manque de personnel sont toujours là" se désole-t-elle avant de conclure : "ce qui m’attriste le plus c’est que j’aime mon métier, mais je ne le supporte plus. Ça me ronge de mal soigner les gens."

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*Le prénom a été modifié.