Les cellules souches, bientôt une arme dans la dysfonction érectile ?
Les cellules souches sont connues pour leur capacité à se différencier dans des cellules spécialisées. Elles sont en cours d'évaluation dans la dysfonction érectile et une équipe française vient d'achever la phase 2 d'un essai. Le point avec le Pr Yiou, qui a mené les travaux.
Les résultats des deux premières phases
La thérapie cellulaire consiste à injecter des cellules souches dans les corps caverneux, les cylindres contenus dans le pénis et qui se remplissent de sang durant l'érection. L'objectif ? Obtenir de nouvelles cellules qui amélioreront l'érection.
Les cellules souches sélectionnées par l'équipe du Pr Yiou proviennent en effet de la moelle osseuse et elles ont la particularité de se différencier en cellules musculaires, endothéliales (les cellules qui tapissent l'intérieur des vaisseaux), et conjonctives (le tissu conjonctif étant un tissu de soutien pour les différents organes du corps).
L'étude du Pr Yiou portait sur des patients ayant subi une ablation de la prostate. A cause de lésions des nerfs et/ou des vaisseaux impliqués dans le mécanisme érectile, ils souffraient d'un trouble de l'érection sévère et ils étaient en échec thérapeutiques : ils présentaient une érection très faible, après deux ans de traitement par inhibiteurs de la phosphodiestérase de type 5 (Viagra® et autres comprimés), injections dans les corps caverneux et vacuum, les traitements habituellement proposés dans la dysfonction érectile.
Des résultats prometteurs, à confirmer ?
La moelle osseuse est prélevée dans l'os du bassin puis les cellules souches sont extraites, puis injectées dans les corps caverneux du pénis. Lors de la première phase[1], quatre doses avaient été testées, sur trois patients chacune. Selon l'urologue, le critère principal de l'essai était de vérifier l'innocuité de l'injection et en critère secondaire, d'évaluer l'effet sur l'érection, à l'aide de 4 doses de cellules souches. La dose n°3 donnait les meilleurs résultats et avait la meilleure tolérance.
En phase 2, six patients supplémentaires ont donc bénéficié de la dose n°3. Les résultats devraient être publiés sous peu mais le Pr Yiou les a commentés pour Allodocteurs.fr : "on retrouve les mêmes résultats en terme d'amélioration du score érectile que dans la phase 1 et aucun effet indésirable." Cette innocuité ne surprend guère l'urologue puisqu'il s'agit d'une greffe autologue – autrement dit des propres cellules du patient, qui ont été immédiatement réinjectées.
Plus précisément, l'équipe de chercheurs a constaté un gain de 10 points sur l'échelle validée sur le plan international, l'IIEF-15, un score qui va de 0 à 30. "Les patients présentaient avant l'injection un score de 7 sur 30 (autrement dit, un début de tumescence), avec le traitement maximal (des injections intracaverneuses à dose maximale, associées à un inhibiteur de la phospho-diestérase de type 5 et un vacuum), détaille-t-il. Six mois après l'injection, ils arrivaient à 17 sur 30, avec un seul traitement. Deux sont parvenus à des érections normales."
[1] Safety of Intracavernous Bone Marrow-Mononuclear Cells for Postradical Prostatectomy Erectile Dysfunction: An Open Dose-Escalation Pilot Study. Yiou. European Urology, Vol 69, Issue 6, juin 2016, pp 988-891
Plusieurs essais dans le monde
D'autres essais évaluent les cellules souches dans la dysfonction érectile. Ils font appel à des cellules souches issues du tissu adipeux (graisseux), du placenta, du cordon ombilical ou de la moelle osseuse. Une équipe danoise vient de présenter des résultats similaires, issus de la phase 1 au congrès de l'Association européenne d'urologie. Il a utilisé des cellules souches issues du tissu adipeux et il présentait des résultats comparables et les mêmes faiblesses que l'essai français (pas de groupe contrôle et petit nombre de patients). Les chercheurs continuent donc leur évaluation pour prouver l'intérêt des cellules souches…
Etude danoise : Safety and potential effect of a single intracavernous injection of autologous adipose-derived regenerative cells in patients with erectile dysfunction following radical prostatectomy: 12-month follow-up. Dr Haahr.
Un nouvel outil dans l'arsenal thérapeutique ?
"Nous sommes très enthousiastes, c'est très prometteur. Cela ne remplacera pas les autres traitements, mais c'est une nouvelle arme thérapeutique", évalue le Pr Yiou. A l'heure actuelle, plusieurs traitements sont prescrits pour pallier la dysfonction érectile : les inhibiteurs de la phosphodiestérase de type 5, comme le Viagra®, qui ne fonctionnent pas chez tout le monde ; les injections de prostaglandine 1 (alprostadil), qui sont très efficaces mais potentiellement douloureuses ; l'application d'une crème contenant le même composé, qui se révèle très décevante ; le vacuum, une pompe à érection, restant peu utilisée en France ; la prothèse pénienne.
"Le seul traitement qui donne un taux de satisfaction élevé, est la prothèse pénienne, commente le Pr Yiou. Il manquait un traitement entre les injections et la prothèse pénienne et la thérapie cellulaire pourrait combler ce fossé pour les patients qui n'étaient pas très répondeurs au Cialis® ou aux injections…"
Pour le moment, l'avenir de la thérapie cellulaire est encore soumis à de nombreuses incertitudes. D'après une revue de la littérature[1] publiée en juillet 2016 dans la Sexual Medical Review, les cellules souches ont fait la preuve de leur efficacité et de leur innocuité aussi bien chez les animaux que les humains souffrant de dysfonction érectile. Mais une autre revue[2] estimait que d'autres études étaient nécessaires pour évaluer la réponse immunitaire en présence des cellules couches et mieux comprendre les mécanismes en jeu, avant d'élargir leur utilisation à la pratique clinique.
"Il faut un suivi à plus long terme. Il existe un risque théorique de réactiver des cellules tumorales résiduelles", confirme en effet l'urologue.
Autre incertitude, en ce qui concerne la classification de la technique, et par conséquent son délai d'utilisation. "Soit elle est considérée comme une thérapie cellulaire et tombe sous le coup d'une loi européenne se rapprochant de la mise sur le marché d'un médicament, donc dix ans, voire plus", explique le Pr Yiou. Soit elle est qualifiée de chirurgie réparatrice, puisque l'on utilise un tissu pour réparer un autre tissu (ce que les chirurgiens font tous les jours). Dans ce cas, les autorisations ne sont pas les mêmes et la technique pourra être utilisée plus rapidement. Les chercheurs poussent donc la communauté des urologues à réfléchir sur la question…
Des limites encore importantes
Le Pr Yiou reconnaît les limites de son essai : "la grande critique de l'essai est l'absence de groupe contrôle, déplore-t-il. Ce serait difficile à faire parce que cela voudrait dire injecter du sérum physiologique, en ayant prélevé malgré tout de la moelle osseuse qu'on va mettre à la poubelle. Sur un plan éthique, c'est difficile à justifier… " C'est pour cette raison que son équipe a choisi des patients avec une dysfonction érectile sévère, qui refusaient la prothèse : "Les études montrent qu'en cas de score stagnant à 7 au bout de 2 ans, avec un maximum de traitement, il n'y a pratiquement aucune chance de récupérer une érection normale."
Dans un article publié sur Allodocteurs.fr le 23 mars 2017, le Pr Desgrandchamps exprimait de très grandes réserves quand aux annonces faites autour des injections de cellules souches, du fait de la faiblesse méthodologique des études et leur médiatisation excessive alors qu'elles en sont aux prémisses de l'évaluation. Le Pr Yiou le rejoint et confirme la nécessité de rester prudent sur ces résultats préliminaires, comme toujours. Mais il rappelle qu’il existe des critères pronostiques de récupération des érections après prostatectomie radicale (détaillés dans l’article) et les patients inclus dans l’étude n’avaient selon ces critères pratiquement aucune chance de retrouver des érections normales.
[1] Current Perspectives on Stem Cell Therapy for Erectile Dysfunction. Peak. Sex Med Rev.2016 Jul;4(3):247-256. doi: 10.1016/j.sxmr.2016.02.003
[2] Stem cell therapies in post-prostatectomy erectile dysfunction: a critical review. Mangir. Can J Urol. 2017 Feb;24(1):8609-8619.