Nourrissons : les décès liés à la maltraitance sous-estimés
Dans la majorité des cas, les décès de nourrissons de moins d’un an des suites de violences ne sont pas identifiés comme tel. En cause : l’absence de signes externes qui rendent le constat délicat, y compris par les médecins.
Mercredi 1er mars, la ministre des Familles, de l’Enfance et des Droits des femmes, Laurence Rossignol a présenté le premier plan interministériel de mobilisation et de lutte contre les violences faites aux enfants. S’étalant sur trois ans (2017-2019), il entend "mieux repérer la maltraitance pour mieux la combattre" avec comme premier axe : "Améliorer la connaissance et comprendre les mécanismes des violences".
Des chiffres officiels largement sous-évalués
A l’heure actuelle, les données dont disposent les pouvoirs publics sur les violences faites aux enfants sont insuffisantes, notamment en ce qui concerne les décès des nourrissons suite à des actes de maltraitance. Elles sont même sous-estimées, selon le Dr Anne Tursz, directrice de recherche à l’Inserm. Une étude, menée par cette pédiatre sur la période 1996-2000 estimait, en effet, à 255 le nombre d’homicides d’enfants de moins d’un an, contre 17 selon les statistiques officielles.
Car, lorsqu’un décès survient au domicile des parents, des grands-parents ou de la nourrice et qu’il est lié à une maltraitance, "les parents ou les personnes responsables de la mort vont chercher à dissimuler leur responsabilité", fait remarquer le Dr Tursz. "Ensuite, dans la majeure partie des cas, le médecin qui signe le certificat de décès, que ce soit à l’endroit où a eu lieu le décès de l’enfant ou à l’hôpital, y mentionne « mort subite » ou « de cause inconnue » s’il n’existe pas de signes évidents de mauvais traitements", souligne la pédiatre. C'est le cas, notamment, pour les bébés « secoués ».
La nécessité d'une autopsie
Pour déterminer s’il y a eu ou non violences sur le nourrisson, il doit être coché, sur le certificat, "obstacle médico-légal à l’inhumation". Cela a pour effet de déclencher une action judiciaire qui pourra aboutir à une autopsie du nourrisson qui, elle, permettra d’identifier d’éventuels violences ayant entraîné la mort de l’enfant.
Or, cette autopsie peut être effectuée soit dans un centre de référence de la mort inattendue du nourrisson, soit dans un institut médico-légal. Malheureusement, regrette le Dr Tursz, "dans les instituts médico-légaux elle n’est pas toujours réalisée car les médecins légistes qui y travaillent manquent de compétence en médecine légale pédiatrique. Ils ne connaissent pas bien les spécificités des nourrissons et de leur cerveau en particulier", souligne-t-elle. Ainsi, ces décès ne seront pas identifiés comme résultant de violences. "Dans les centres de référence de la mort inattendue du nourrisson, en revanche, les médecins légistes ont les connaissances pédiatriques nécessaires", note le Dr Tursz et déclenchent donc plus facilement une autopsie lorsque cela s’avère nécessaire.
"Il y a un nombre de cas non négligeables de crimes qui passent inaperçus, mis au compte de la « mort inexpliquée » du nourrisson", a déclaré Mme Rossignol à l’AFP. La ministre a donc appelé les médecins à "être suspicieux" et à une plus large systématisation des examens post-mortem.
Un récent arrêté ministériel autorise désormais le SAMU à transférer directement le corps d’un enfant décédé de cause inconnue dans un centre de référence de la mort inattendue du nourrisson.
Auparavant, le SAMU n'était jamais autorisé à transporter le corps d’une personne décédée.