Canicule : situation "maîtrisée" pour la ministre de la santé, alarmante pour les soignants
La Ministre de la Santé affirme que les hôpitaux pourront faire face à la canicule... Mais leurs effectifs limités en période d'été rend déjà difficile la prise en charge des premiers patients touchés.
La situation sanitaire liée à la canicule était "maîtrisée" jeudi sur l'essentiel de la France avec cependant "des tensions" dans le Grand Est, selon la ministre de la santé, Agnès Buzyn, interrogée lors d'une visite aux urgences du CHU de Nîmes.
Un diagnostic en partie confirmé par Zyanab Riet, déléguée générale de la Fédération Hospitalière de France (FHF) : "Il n'y a pas d'inquiétude particulière, estime-t-elle. Tous les moyens sont mis en place pour que les soignants puissent travailler dans de bonnes conditions. Les temps de pause et les rotations d'équipes sont adaptés à la chaleur."
Pourtant, des voix discordantes se font entendre ces derniers jours, et pas seulement dans les services d'urgences. Les sous effectifs sont généralisés et entraînent des risques pour les patients. Thierry Amouroux, Porte parole du Syndicat National des Professionnels Infirmiers (SNPI), fait le point sur la situation.
La situation sanitaire liée à la canicule est-elle "maitrisée" comme le dit la ministre ?
Ce n'est pas du tout le cas, loin de là. Il faut bien comprendre qu'en temps normal on est déjà à a flux tendu en terme d'effectifs. Et pendant l'été, la situation s'aggrave puisque les économies imposées empêchent le remplacement à 100% des personnes en congés. Aux urgences, c'est là où les choses sont souvent le plus visibles pour les patients. S'ils n'ont pas de symptômes très alarmants, l'attente s'élève actuellement souvent à 8 h dans des services parisiens par exemple. Et avec la chaleur la tension augmente vite. En ce moment, 15 infirmiers par jour se font agresser dans les hôpitaux. Donc on est loin d'une situation "maitrisée". Ce n'est d'ailleurs pas une surprise, selon une enquête de l'Agence Régionale de Santé d'Ile de France réalisée en mai auprès des services d'urgences de la région, plus de 1200 gardes n'étaient pas assurées cet été avec plus de la moitié au mois d'août !
La crise existe dans tous les services ?
Bien sûr. Rare sont ceux qui peuvent réduire leur activité pour s'adapter aux vacances du personnel... Il faut continuer les chimiothérapies par exemple ! Pareil pour les patients dont les pathologies chroniques comme le diabète entraînent des complications qui exigent une hospitalisation. Sans oublier les personnes souffrant d'insuffisance cardiaque ou rénale. Tous ces contextes sont en plus aggravés par la chaleur. Ils ont besoin de soins supplémentaires de la part d'équipes en sous-nombre...
Il faut comprendre que depuis des années, ceux qui sont à l'hôpital ont des profils de plus en plus lourds : les autres sont rentrés chez eux ! C'est ce qu'entraîne le développement de la chirurgie ambulatoire (sans passer une nuit à l'hôpital ndlr) et le raccourcissement général des durées de séjour. Alors pour le personnel soignant, c'est mission impossible. Pour revenir aux urgences, on a eu des exemples dans l'actualité ces dernières semaines de patients âgés morts sans même avoir été vus par un médecin. Cette situation de crise va donc se traduire par des décès que l'on aurait pu éviter.
La situation est vraiment périlleuse ?
Oui car c'est une difficulté supplémentaire dans un contexte déjà très sensible. Les infirmiers, comme toute personne, souffrent de la chaleur. Le fait de courir d'un patient à l'autre, avec des temps de pause réduits, cela nous amène à mal faire notre travail. A force de devoir gérer uniquement des situations urgentes et difficiles en même temps, il peut y avoir des erreurs de diagnostic, de traitement.. On en a conscience et donc psychologiquement on n'est pas bien non plus.
Vous avez des soignants qui en viennent aujourd'hui à se suicider parce qu'ils ne supportent plus les conditions de travail. Ces 18 derniers mois, 14 infirmières se sont données la mort sur leur lieu de travail ou en laissant une lettre explicite qui accuse le travail. Je suis diplômé depuis 1984, il n'y avait aucun suicide à l'époque..
Comment la situation peut-elle évoluer ?
Je suis vraiment inquiet. La possibilité d'un "plan blanc" est difficilement envisageable car il impliquerait de réquisitionner du personnel déjà épuisé physiquement et en grande fragilité psychologique. Le risque serait donc d'augmenter encore les risques pour les patients ! En Ile de France, on recense déjà 1800 d'événements indésirables liés aux soins chaque année...
A cause de ce sous effectif chronique on est plus en état de faire face à une crise sanitaire. Il faut bien que le gouvernement comprenne que derrière leurs réductions budgétaires répétées depuis 10 ans, des vies sont en jeu.
Que demandez-vous au gouvernement ?
Nous demandons un moratoire, une suspension du plan d'économie. Cette année, il y a 1,6 milliards d'économie prévus sur l'hôpital. Un poste d'infirmier c'est 40 000 euros avec les charges, un poste d'aide soignant c'est 30 000 euros, vous voyez qu'avec 1,6 milliards d'économie, le nombre de postes que l'on peut supprimer est hallucinant.