Hydroxychloroquine : info ou intox ?
L’hydroxychloroquine est une molécule qui est au cœur d’intenses polémiques depuis le début de l’épidémie de coronavirus. Certains accusent même le gouvernement d’avoir compliqué l’accès à cette substance. Pour démêler le vrai du faux, nous sommes allés traquer les infos à la commission d’enquête du Sénat.
L’hydroxychloroquine est un médicament utilisé notamment dans le traitement du lupus, une maladie auto-immune, ou la polyarthrite rhumatoïde. Autorisée dans un premier temps en France pour les formes graves du COVID-19, l’hydroxychloroquine a finalement été abandonnée car les études scientifiques n’ont pas prouvé son efficacité. Pourtant, le médicament a toujours ses ardents défenseurs, notamment le Pr Didier Raoult.
Au Sénat, à la commission d'enquête sur la crise sanitaire de la Covid-19 et de sa gestion, les parlementaires, sénateurs et députés, auditionnent les principaux acteurs de la crise, dans l'objectif de contrôler l’action du gouvernement.
Le 15 septembre dernier, les sénateurs ont auditionné Didier Raoult. Il a notamment été interrogé par Bernard Jomier, sénateur apparenté socialiste et médecin généraliste.
Voici la question sur l’HCQ et la réponse assez tendue de Didier Raoult.
- "On constate que dans le monde entier, ce traitement n’est plus utilisé. Est-ce que ça signifie que le monde entier est aujourd’hui dans l’erreur ?"
- "Je suis en totale désaccord avec vous. Il y a 4,6 milliards de personnes qui vivent dans des pays où l'hydroxychloroquine est utilisée. (…) Donc vous ne pouvez pas liquider ça comme ça".
Selon Didier Raoult, 4,6 milliards de personnes vivraient dans des pays recommandant l’HCQ. La population mondiale était de 7,3 milliards en 2017 selon les Nations Unies. Plus de la moitié de la population mondiale pourrait donc accéder à l’HCQ, selon lui. Il légitime le traitement par le nombre de pays l’utilisant. Mais ces chiffres sont-ils exacts ?
Provenance et véracité des chiffres
- Sur la carte du site de l’IHU (Méditerranée Infection - Marseille), l’institut du Pr Raoult, on note un premier bémol. Cette carte date du 9 avril 2020, et comme tout change très vite avec l’avancée des connaissances, on peut craindre que certaines recommandations aient évoluées.
- Sur la carte de l’IHU, l’Italie autorise la chloroquine. Plus en détail c’est seulement sur une région, la Lombardie. L'agence italienne du médicament a suspendu l’autorisation de l’HCQ, en dehors des essais cliniques.
- Une autre carte recense l’utilisation ou non par les pays de l’HCQ. Elle a été réalisée par le Dr Nathan Peiffer-Smadja, infectiologue à l’hôpital Bichat. En rouge, les pays qui sont contre l’HCQ. En jaune, pas de recommandation. En vert, ceux qui recommandent l’HCQ. Et en gris, ceux pour lesquels on ne sait pas.
11 pays recommandent l’HCQ : L'Inde, l'Algérie, le Maroc, le Vénézuela, l'Egypte, l'Ouzbékistan, l'Ukraine, la Géorgie, la Turquie, le Panama et le Costa Rica. Avec ces 11 pays recommandant l’HCQ, on atteint 1 milliard 766 millions, bien loin des 4,6 milliards cités par Didier Raoult au Sénat.
Le Dr Nathan Peiffer-Smadja, l’auteur de la carte, explique que certains pays ou certains dirigeants continuent de vanter les mérites de l’HCQ.
Il n’a pas de conflit d’intérêt avec des laboratoires pharmaceutiques et sur la base transparence Santé du ministère, en 2015-16, il a déclaré avoir participé à 6 repas organisés par des laboratoires pour un montant total de 260 euros. Rien depuis donc il n'est pas acheté par des big pharma.
La majorité des pays ne recommande pas l’HCQ
Si elle n’est plus utilisée par la majorité des pays, c’est que la molécule n’a pas fait la preuve dans les études de son efficacité contre la COVID-19 et qu’elle soit utilisée en préventif ou pour traiter des patients avec une forme sévère du virus.
Selon la société française de pharmacologie, il y un consensus scientifique sur cela. En revanche, elle pourrait avoir des effets indésirables potentiellement graves, notamment cardiovasculaires, et augmenter la durée d’hospitalisation.
L’HCQ peut-elle prévenir les accidents de trottinettes ?
A ce jour, l’HCQ n’a pas démontré son efficacité contre la COVID-19 mais qu'en est-il des accidents de trotinettes ?
En août dernier, une étude sur le lien entre HCQ et les accidents de trottinettes a été publiée dans la revue scientifique "l’Asian Journal of Medecine and Health".
Elle conclut au fait que l’HCQ et l’azithromycine sont efficaces dans la prévention des accidents de trottinettes. Conclusion surprenante mais quand on regarde plus en détail on commence à avoir des doutes...
Parmi les auteurs : "Didier Lembrouille" et "Sylvano Trottinetta"... "L’Institut de la Science à l’Arrache" et "l’Université du Melon". Les études ont été réalisées "sur le parking d’une usine abandonnée de Montcuq" et "la chaise Ikea de l’auteur"...
Un canular publié dans une revue scientifique
L’article a été retiré par la revue une trentaine d’heures après sa publication.
Pour être publié dans une revue scientifique, un article est en général relu par d’autres scientifiques. Comment l’article sur la trottinette a-t-il pu passer ce filtre ?
Les auteurs n’ont pas choisi la revue Asian Journal of Medecine and Health au hasard car elle avait publié une étude promouvant l’HCQ. Elle émanait de médecins français du collectif pro-hydroxychloroquine "Laissons les médecins prescrire".
Les revues scientifiques les plus respectées avaient refusé́ de publier cette étude, ne la jugeant pas solide mais pas l'AJMH. C’est une revue qu’on appelle "prédatrice", qui offre peu de contrôle sur ce qu’elle publie. Le but de ces revues est d'encaisser les frais de traitement des articles, le chercheur payant pour être publié.
L'objectif des auteurs du canular était double :
- Montrer qu’une publication dans une revue scientifique ne signifie pas qu’il s’agit de résultats sérieux.
- Confronter les déclarations tonitruantes de Didier Raoult en référence à cette vidéo publiée en février selon laquelle le coronavirus ferait moins de morts que les accidents de trottinettes.
Que souligne ce débat sur l’HCQ ?
L’épidémie de la Covid 19, et notamment le débat sur l’HCQ, souligne les liens parfois complexes entre science et vérité. La science évolue avec la progression des connaissances. C'est un nouveau virus dont on sait peu de choses, on a d’abord pensé que l’HCQ pouvait être efficace et finalement les études ont montré que non.
Dans le domaine scientifique, il peut y avoir des fakes news ou des fausses informations. Il faut s’assurer que la méthode des études est fiable, que les résultats sont démontrés, croiser les sources et prendre du recul fasse à une information présentée comme scientifique.