Enfants victimes de violences : "les réactions post-traumatiques durent toute la vie"
Les violences, notamment sexuelles, faites aux enfants ont des conséquences dévastatrices tout au long de leur vie. L’association Innocence en Danger alerte sur la situation en France à l’occasion des 30 ans de la Convention des Droits de l’Enfant.
"Je vous écris pour vous dire que je ne serais pas un bon candidat." C’est par ces mots que commence la surprenante "Lettre de Démotivation", publiée par l’association Innocence en Danger à l’occasion des 30 ans de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant ce 20 novembre. Julien Miraute, candidat fictif, interpelle dans cette lettre inspirée de témoignages réels, sur son incapacité actuelle à mener une vie professionnelle stable. En cause : les violences sexuelles qu’il a subies à l’âge de huit ans, lorsqu’un proche de sa famille a abusé de lui.
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Un enfant violenté est traumatisé à vie
L’association Innocence en Danger, mouvement mondial de protection des enfants contre toutes formes de violences notamment sexuelles, lance en effet une "grande campagne sur les conséquences dévastatrices des violences sexuelles faites aux enfants". Car "un enfant violenté a dans son corps et dans son psyché des réactions post-traumatiques toute sa vie" explique à Allodocteurs.fr Homayra Sellier, Présidente-Fondatrice d’Innocence En Danger. Au quotidien, "nous voyons des victimes qui ont du mal à l’école, du mal à faire des études, à aimer, à se laisser aimer et à faire confiance. Ces victimes sont bousillées" poursuit-elle.
Et c’est ce que la lettre, également adaptée en film, retranscrit dans le détail en rapportant des "cauchemars éprouvants", une "fatigue générale", des "moments d’irritabilité exacerbée ou de renfermement total", une "incapacité à faire confiance", des "crises d’angoisses soudaines" ou encore des "capacités d’écoute et de concentration très aléatoires".
Une construction brisée
Plus précisément, "les conséquences des violences varient selon le type de violence et selon l’âge auquel l’enfant les subit " nous révèle le docteur Luis Alvarez, psychiatre pour enfants à l’Hôpital Américain de Paris et à la Clinique Périnatale de Paris.
Lorsque la violence est subie à un âge précoce, avant l'âge de deux ans, "elle s’accompagne de dommages physiques très importants qui conduisent parfois au décès des enfants". Si l’enfant survit, "les conséquences sur sa construction d’adolescent puis d’adulte sont dramatiques car ces violences affectent la sécurité interne de l’enfant et la fondation même du socle de sa personne" détaille le docteur Alvarez.
Quand l’enfant est plus âgé, "ce sont les images qu’il se créé de ce qu’est un homme, une femme, l’amour, qui sont distordues" poursuit le pédopsychiatre. Enfin, si les violences surviennent à l’adolescence, à ces conséquences s’ajoute "une perte de confiance et d’espoir dans le monde adulte".
En somme, "ces enfants et adolescents se construisent en tant qu’adultes vulnérables au stress et pour qui la violence sera une tentation à chaque écueil de la vie".
Cinq à six millions de victimes
Autres conséquences fréquentes des violences subies à un jeune âge : "un risque plus élevé de suicide ou d’idées suicidaires, d’usage de la drogue, de délinquance ou de radicalisation, de prostitution et même un risque accru de développer des maladies mortelles" liste Homayra Sellier. Et si "chaque individu répond différemment au traumatisme qu’il ou elle subit", le "fil rouge" reste toujours "des problèmes d’ordre sexuel" note la présidente d’Innocence en Danger.
Ces dommages constituent un réel problème de santé publique de vaste ampleur puisque "cinq ou six millions d’enfants seraient victimes de violences" en France, rappelle Homayra Sellier. "Imaginez que demain on découvre une épidémie en France où six millions d’enfants sont touchés par un problème potentiellement mortel, est ce qu’on ne ferait rien ?" s’indigne la présidente de l’association.
"Il n’y a pas d’épidémie d’enfants menteurs"
Mais concrètement, quelles actions peut-on aujourd’hui mener contre ces violences faites aux enfants ? Avant même de pouvoir agir, il faut savoir identifier les victimes. D’où ‘importance de "libérer la parole des enfants", selon le docteur Alvarez, mais aussi de les croire et de les reconnaître comme victime : "il n’y a pas d’épidémie d’enfants menteurs en France" martèle Homayra Sellier.
Malheureusement, l’enfant ne peut pas toujours dire la violence qu’il subit. A défaut de récits verbaux, il est donc indispensable de "comprendre leurs récits émotionnels et corporels" explique Luis Alvarez. Problème, "les personnes les plus en contact avec les enfants - comme les médecins, les pédiatres, les acteurs scolaires - manquent de formation pour dépister les signes suggestifs de violences" poursuit le psychiatre.
Après l’identification vient la reconnaissance. Et, en la matière, "les décisions de justice sont aberrantes en France" observe Homayra Sellier. "Les victimes doivent être crues et reconnues et les personnes qui reçoivent les témoignages de ces enfants doivent être formées" poursuit-elle. Ensuite, "la réponse juridique doit être à la hauteur et condamner les violeurs et les agresseurs à des peines proportionnelles au crime commis".
Prendre en charge les thérapies des victimes
Dernier point, et non des moindres : "les victimes doivent bénéficier d’une thérapie" souligne la présidente d’association. Actuellement, plusieurs thérapies ont fait leurs preuves pour "sortir l’enfant de l’aspect envahissant du traumatisme", assure le docteur Alvarez. C’est notamment le cas de "la désensibilisation par la méthode EMDR" (pour Eye Movement Desensitization and Reprocessing), de "psychothérapies spécialement conçues et créées pour les enfants victimes" et de "thérapies cognitives".
Mais comme l’enfant violenté ou violé "n’a pas le temps ni les moyens de suivre une thérapie longue, ces aides doivent être prises en charge par la sécurité sociale", propose Homayra Sellier. De même que les thérapies pour les familles de ces enfants, car "les violences sur les enfants défigurent la vie familiale au quotidien" rappelle le docteur Alvarez.
Venir en aide "au plus grand nombre d’enfants possible"
Pour mettre en œuvre ces solutions, "la France doit avoir l’humilité de regarder ce qu’il se passe ailleurs, dans d’autres pays comme l’Allemagne, l’Autriche ou les pays nordiques et de voir quelles méthodes thérapeutiques fonctionnent et comment sont accompagnés les enfants victimes" avance Homayra Sellier.
Si l’association Innocence en Danger a aujourd’hui choisi d’orienter sa campagne vers les entreprises, c’est parce que "leur soutien aux grandes causes est absent" déplore Homayra Sellier. "Les entreprises françaises ont la responsabilité d’aider des organisations et des associations, d’apporter leur soutien financier pour qu’on puisse venir en aide au plus grand nombre d’enfants possible" appuie-t-elle.
Selon la dernière étude de l’Institut National d’Etudes Démographiques (INED) publiée en 2015, en France une femme sur sept et un homme sur 25 déclarent avoir subi "au moins une forme de violence sexuelle" au cours de sa vie. Et en Europe, selon la campagne du Conseil de l’Europe, un enfant sur cinq a déjà été victime d’une forme de violence sexuelle.