Pourquoi interdire la fessée ?
Depuis le 1er janvier 2017, les châtiments corporels et les violences éducatives sont interdits en France. La fessée est-elle un châtiment corporel ? Quelles sont les conséquences sur les enfants ? Que risquent les parents ? Les explications avec le Dr Muriel Salmona, psychiatre.
On considère comme châtiment corporel, toute violence commise par les parents sous couvert d’éducation pour corriger ou punir leurs enfants ou de les calmer ou de s'en faire obéir. Il s'agit de faire peur, de faire mal physiquement et moralement, de contraindre par des privations et des pressions, de faire honte ou d'humilier. Le but étant de formater les enfants à être obéissants, performants et soumis à l'autorité des adultes.
La fessée, un châtiment corporel ?
Donner une fessée, une tape avec la main ou avec un objet, une gifle, pincer, tirer les oreilles, les cheveux, pousser... sont des violences corporelles considérées comme des atteintes aux droits des enfants. Cinquante et un pays dans le monde les avaient déjà interdites et la France vient de le faire avec le vote le 22 décembre 2016 d'une modification de l'article du code civil qui exclut "tout traitement cruel, dégradant ou humiliant, y compris tout recours à la violence corporelle" dans le cadre de l'autorité parentale.
Le code pénal n'est pas modifié, aucune sanction pénale n'est prévue tant qu'il ne s'agit pas de maltraitance, l'objectif de cette loi est de favoriser une prise de conscience des parents et de promouvoir une éducation non-violente. Cet article du code civil sera lu lors du mariage civil et intégré dans le livret de famille et dans le livret des parents distribué au quatrième mois de la première grossesse.
Stop à la violence éducative
Une très grande majorité des parents en France (de 60 à plus de 80%) reconnaît avoir recours aux punitions corporelles quels que soient leur niveau socio-culturel et leurs origines. Les facteurs les plus prédictifs pour les parents d'y recourir étant le fait d'en avoir eux-mêmes subi dans leur enfance, leurs niveaux de stress dans la vie quotidienne, leurs croyances dans les effets bénéfiques des punitions corporelles et la mauvaise nature des enfants qu'il faudrait dresser, ainsi que la méconnaissance des besoins fondamentaux des enfants et des étapes de leur développement (un bébé ne pleure pas par caprice, il est normal qu'un enfant ne puisse pas se concentrer au-delà d'une heure ou qu'il n'ait pas certaines capacités psychomotrices).
Non seulement ces violences sont tolérées quand elles s'exercent dans le cadre familial sur des enfants, mais elles sont banalisées et justifiées souvent présentées comme nécessaires pour bien éduquer les enfants en raison de leurs comportements, et considérées comme utiles et inoffensives. Pourtant, depuis plus de 25 ans, droits et recherches universitaires en psychologie, en médecine et en sciences de l'éducation (plusieurs centaines de publications scientifiques) démontrent sans appel que les châtiments corporels et toutes les autres formes de violences éducatives sont injustifiables, et qu'elles ne sont ni utiles, ni inoffensives.
Des effets néfastes sur les enfants
Les châtiments corporels sont nuisibles pour les enfants. Ils représentent un facteur de risque de maltraitances puisque 75% de ces châtiments sont commis dans un cadre de punitions corporelles, et de subir de nouvelles violences tout au long de sa vie. Il a été prouvé par de nombreuses recherches internationales qu'ils ont des conséquences traumatiques à long terme sur la santé mentale et physique des enfants.
Deux grandes études publiées dans les revues internationales Pediatrics en 2013 et CMJA en 2014 ont permis d'attribuer aux punitions corporelles 6 à 12% des troubles psychiatriques dans la population générale (troubles de l'humeur, troubles anxieux, hyperactivité, conduites addictives, risque suicidaire, troubles de la personnalité comme les personnalités borderline, schizotypiques, asociales), et un risque plus grand de troubles cardiovasculaires, pulmonaires, de l'immunité, d'arthrites, de douleurs chroniques et d'obésité.
Elles sont également à l'origine d'atteintes neuro-biologiques et corticales du cerveau, et de modifications épigénétiques, ces atteintes étant liées au stress, au dysfonctionnement des systèmes de régulation de la réponse émotionnelle et à l'excès de production de cortisol qui est neurotoxique. Le cerveau des enfants est particulièrement vulnérable à la violence.
Ces violences entraînent une sidération qui paralyse l'enfant, une mémoire traumatique qui lui fait revivre les violences et une dissociation traumatique qui l'anesthésie émotionnellement.
Du côté de l'enfant, à chaque fois que l'enfant se retrouve dans le contexte des violences (par exemple aux repas, lors du bain, du change, de l'habillage, lors d'apprentissages ou pour répondre à des questions), l'enfant est envahi par des scènes de violences antérieures, et il se bloque ou pleure, crie, s'agite, tape, ou se déconnecte, ce qui risque d'être pris par le parent pour des caprices ou de l'opposition et de rendre celui-ci à nouveau violent, l'effet dissociant anesthésiant des violences empêche le parent de prendre conscience de la douleur et de la souffrance de l'enfant et cela augmente aussi le risque de violences.
Du côté du parent, quand les violences de son passé l'envahissent et génèrent un stress important (par exemple les cris), les violences reproduites à l'identique sur l'enfant vont soulager le stress du parent par effet dissociant et anesthésiant. Cela devient alors un cercle infernal.
Cette méconnaissance des besoins et des droits fondamentaux des enfants et des conséquences traumatiques des violences éducatives donne aux parents un permis en toute "innocence" de taper, menacer et humilier leurs enfants, aussi petits soient-ils puisqu'un pourcentage important des violences éducatives commencent avant 2 ans, et plus de la majorité avant 7 ans.
Privilégier des méthodes éducatives non-violentes
Les violences éducatives sont corrélées fortement à des troubles cognitifs et de l'apprentissage chez les enfants, et à une augmentation de l'agressivité, des conduites à risque et des comportements anti-sociaux que l'on retrouve à l'âge adulte avec un risque de reproduire des violences intra-familiales et conjugales.
Aucune étude scientifique n'a pu démontrer un effet positif des punitions corporelles sur le comportement, le développement et les capacités d'apprentissage de l'enfant. En revanche, des méthodes éducatives non-violentes et bienveillantes ont fait leurs preuves pour bien éduquer un enfant sans châtiments corporels. Il a été démontré que la réduction des punitions corporelles par les parents est suivie rapidement d'une diminution de l'agressivité, de l'anxiété et des comportements anti-sociaux chez leurs enfants.
On a donc toutes les raisons d'être favorable à l'interdiction des châtiments corporels. Interdire les violences éducatives est une affaire de respect de droits fondamentaux, mais également de santé publique. Il est maintenant nécessaire d'informer les parents et de les aider à mettre en place une éducation bienveillante.