Violences conjugales : “Un mari violent n’est jamais un bon père”
Les associations pour la protection de l’enfance alertent sur la nécessité d’une meilleure prise en charge des enfants témoins et victimes de violences conjugales.
À l’heure où nous écrivons ce papier, la page Facebook Féminicides Par Compagnons ou Ex comptabilise 87 féminicides en France pour l’année 2020. Derrière ce nombre, une autre réalité douloureuse, celle des enfants, co-victimes de ces violences conjugales.
En 2019, 111 enfants ont perdu un parent, voire les deux, à la suite d'affaires de morts violentes au sein du couple. “60% de ces meurtres se font devant les enfants. Il faut une meilleure reconnaissance de leur traumatisme", insiste Arnaud Gallais, directeur de l’association Enfant Présent.
Des violences dès la grossesse
Longtemps mis de côté dans la lutte contre les violences conjugales, les enfants sont désormais considérés comme co-victimes. “S’il y a une chose que le Grenelle a fait, c’est de nommer ce système de violences envers les enfants.”
Parmi les 46 mesures du Grenelle contre les violences conjugales, plusieurs concernent directement leur prise en charge :
Ces mesures ont un point commun : elles interviennent après le signalement des violences, et non en amont pour les éviter. Or, “ 40% des violences conjugales commencent dès la grossesse. Mais par manque de formation, les professionnels de terrain ne repèrent pas assez tôt les signes de violence”, déplore Arnaud Gallais, qui pointe du doigt une absence de moyens financiers.
Le danger des visites
La mesure 33 du Grenelle, qui concerne les espaces de rencontres en cas de séparation, touche un point crucial. Malgré des signalements pour violences, le père a toujours le droit de voir ses enfants, ce qui peut être dangereux selon le directeur de l’association Enfant Présent : "un mari violent n'est jamais un bon père. On entend encore des gens dire "il a pété un plomb mais c'est un père aimant" ".
Alors, chaque femme y va de son stratagème pour se protéger : faire accompagner les enfants par un autre membre de la famille, se rendre à l’extérieur etc. Mais dans tous les cas, ces visites avec le père violent restent un moment difficile à vivre.
Des pistes de solution existent, comme nous le raconte Ernestine Ronai, responsable de l’Observatoire départemental des violences envers les femmes de Seine-Saint-Denis :
“Nous avons expérimenté l’encadrement de ses visites par des professionnels. Ainsi, le moment du passage entre la mère et le père se fait avec une personne tierce qui peut alerter le juge en cas de comportements violents du père. Et pour les femmes qui ne veulent pas se déplacer, nous proposons de prendre l’enfant directement depuis son domicile et de l'emmener au lieu de visite avec le père.”
Ce dispositif n'existe actuellement qu'à Paris et en Seine-Saint-Denis “mais la Caf essaye d’étendre cette mesure à d’autres départements", affirme la responsable de l’Observatoire.
Libérer les enfants du père violent
Mais que deviennent les enfants qui ont vu leur mère se faire tuer par leur père ? Là encore, les associations déplorent des décisions éloignées de la réalité du terrain, notamment en ce qui concerne l'autorité parentale.
“Le père ne perd pas automatiquement son autorité parentale. Donc il peut être en détention pour le meurtre de sa femme et continuer à prendre des décisions pour ses enfants à l’exterieur. Et là, l’emprise s'installe”, explique Arnaud Gallais.
Depuis le Grenelle, en cas de féminicide, l’autorité parentale du père lui est retirée pendant six mois, dans l'attente de son procès. Un délai insuffisant pour Ernestine Ronai, qui rappelle que les procès prennent parfois plusieurs années : " Six mois c'est trop court. Les gens attendent parfois plusieurs années avant un procès. Que se passe-t-il une fois les six mois écoulés ? Le père peut retrouver la tutelle ? Nous demandons un retrait systématique de cette autorité, sans limite dans le temps, au moins jusqu'au procès."
Hospitaliser les enfants
La Seine-Saint-Denis, département précurseur sur la question, a également mis en place en 2014 un “protocole féminicide”. Ainsi, l’enfant est placé à l'hôpital pendant une semaine, dans un “sas” pour prévenir et guérir les traumatismes.
Ces quelques jours permettent aussi aux services compétents d’évaluer la meilleure solution de placement pour l’enfant. Un protocole qui, là aussi, pourrait voir le jour dans d’autres villes, à commencer par Lyon, assure Ernestine Ronai.