Observatoire du suicide : des espoirs et des doutes
Mardi 10 septembre 2013 devrait être annoncé, à la mi-journée, la création d'un Observatoire national du suicide. Si cette structure est réclamée de longue date par de très nombreux praticiens, syndicats et associations, certains professionnels sont plus réservés. Les missions confiées à l'Observatoire seront-elles à la hauteur des enjeux ?
Mi-février 2013, Marisol Touraine avait annoncé sa volonté de créer un Observatoire national du suicide. La ministre de la Santé répondait à une demande du Conseil économique, social et environnemental (CESE), qui faisait elle-même écho à l’appel, en mai 2011, de 44 personnalités pour la création d’un "instrument […] d’aide à la décision des pouvoirs publics" en matière de suicide.
Marisol Touraine avait alors identifié les missions du futur Observatoire, parmi lesquelles celle de "de mieux coordonner les informations existantes, de mieux repérer, de mieux alerter". Elle décrivait également l'organisme comme "un instrument de connaissance", destiné à être "un outil d'aide à la décision [fédérant] les acteurs professionnels et associatifs des champs sanitaire et social".
Attentes et inquiétudes
Le professeur Michel Debout, professeur de médecine légale et ancien président de l’Union Nationale pour la Prévention du Suicide (UNPS), interrogé par Allodocteurs.fr, "se félicite de la mise en place officielle de l’Observatoire" pour la création duquel il milite "depuis près de vingt ans".
Selon lui, la création de cette entité était une urgence. "Nous sommes dans une période de crise, durant laquelle le risque de suicide augmente. Il nous faut pouvoir suivre trimestre après trimestre l’évolution de la situation en France. Or nous manquons aujourd’hui de données statistiques disponibles. Nous ignorons par exemple l’évolution du taux de suicide des chômeurs. De telles informations sont indispensables pour pouvoir adapter les politiques de prévention."
A la veille de la création de l’organisme, difficile pourtant de savoir quels seront ses missions et ses moyens réels. "Si beaucoup d’annonces ont été faites, rien n’est encore défini" selon Grégoire Rey, directeur du Centre d’épidémiologie sur les causes de décès, référent du dossier auprès de l’Inserm.
Le professeur Debout espère pour sa part "que les décideurs ministériels sauront ou auront su prendre en compte les nombreuses propositions que nous avons pu faire quant à la structure d’un observatoire du suicide. L'Observatoire ne devra pas seulement rassembler des chiffres, mais également donner les moyens de mieux connaître les pratiques préventives."
Certains des professionnels invités à participer au lancement de cet observatoire du suicide ne dissimulent pas leurs inquiétudes à l'égard du projet. Le professeur Jean-Louis Terra, professeur de psychiatrie à l'Université Lyon I et chef de service au Centre Hospitalier du Vinatier, contacté le 9 septembre, redoute la création d’une structure contreproductive : "Il ne faudrait pas qu’il s’agisse, dans les faits, d’une organisation de plus dans l’échiquier des structures existantes, dont la mission serait de faire sous-traiter à un énième organisme un problème extrêmement concret, pour lequel existe déjà des recommandations très précises ! Il faut être vigilant, car le risque existe qu’un tel organisme passe beaucoup de temps à dire comment il doit fonctionner… Près de 70 personnes seront autour de la table mardi. Cela me semble terrifiant. Il va falloir un chef d’orchestre vraiment talentueux."
Un Observatoire du suicide pour observer, mais aussi évaluer et diffuser
"Le plus irritant pour moi est le mot Observatoire", poursuit le professeur Terra. "Que va-t-on observer ? Si la mission est d'observer et de constater que tel docteur dans l’Ain "fait des choses bien", cela ne sert à rien, car cela existe déjà ! Il existe en France des centaines d’actions déjà recensées mais qui, en revanche, restent orphelines de toute évaluation. Il s’agirait de dresser un bilan à trois mois et à six mois des actions de notre docteur puis, si ses pratiques sont efficaces, de les généraliser rapidement, pour faire en sorte qu’aucune région ne puisse se permettre d'ignorer ou de ne pas mettre en œuvre ces pratiques."
Du fait des spécificités de chaque terrain, et notamment des facteurs de risques variables d’une région à l’autre, la diffusion des bonnes pratiques que le professeur Terra appelle de ses vœux requerrait à la fois compétences et moyens. "Pour que l’Observatoire ait un sens, il faudrait qu’il intègre des démographes, des économistes."
Le professeur Debout s'accorde sur ce point avec son confrère "Observer ne sert à rien si, derrière, on ne transcrit pas cela en action de prévention. C’est la raison pour laquelle nous devrons veiller à ce que l’observatoire devra réellement être en relation avec le terrain."
"L'Observatoire du suicide doit être à la fois un phare et une remorque"
L'importance d'un lien très fort entre l'Observatoire et le terrain est souligné par chacun. "Le suicide n’est pas une maladie, c’est un risque", explique ainsi Jean-Louis Terra. "Et les personnes qui peuvent aider à prévenir ce risque ne sont pas seulement des médecins. Il faut tout faire pour que la coordination entre les personnes présentes lors des interventions – les pompiers, la police, les personnes qui ont tiré la sonnette d’alarme, mais également les services de santé ou les bénévoles – se passe dans les meilleures conditions."
"Ce qui est constaté par un intervenant à un moment donné est-il signalé de manière efficace aux personnes qui vont lui succéder ?" poursuit le professeur Terra. "Voilà le genre de questions très concrètes qu'il faut poser, et qui permettent de déboucher sur des actions de terrain. Nous devons cultiver l'art d’être "successivement ensemble", cultiver le respect entre les différents acteurs successifs. L'Observatoire doit être à la fois un phare et une remorque, faisant avancer les acteurs dans un certain ordre, coordonnant leur défilé."
Chaque année, près de 11.000 suicides - soit 30 par jour - et 220.000 tentatives sont recensés en France, selon les chiffres du Conseil économique, social et environnemental (CESE). Le nombre de décès dus au suicide a diminué de 20% en 25 ans sur la population générale et de 50% chez les 15-24 ans.
"Les programmes nationaux de prévention du suicide mis en place dans les années 2000 ont contribué à ce résultat", soulignait le CESE en février 2013 dans un avis. Cependant, malgré cette évolution encourageante, le taux de suicide en France - 14,7 pour 100.000 habitants en 2010 - reste élevé au regard de la moyenne européenne, qui est de 10,2 pour 100.000 habitants.
En savoir plus
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Ailleurs sur le web :
- Union nationale pour la prévention du suicide
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- Questions et réflexions sur le deuil et son accompagnement
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