Quand le travail pèse sur le périnée des femmes
Les troubles urinaires et les pathologies du périnée sont le lot des femmes qui pratiquent un métier physique. Des pathologies encore taboues, dont la prévention et la prise en charge restent trop rares.
Fuites et incontinence urinaire, urgence mictionnelle, pesanteur pelvienne, descente d’organes ou prolapsus… Ces pathologies dites pelvi-périnéales (pour pelvis et périnée) concerneraient au moins quatre millions de Françaises. Souvent considérées comme un problème de femmes âgées ou de sportives de haut niveau, ces pathologies peuvent aussi être déclenchées par l’exercice d’une activité professionnelle à risque.
Infirmières, hôtesses, sages-femmes, agente d’entretien…
Principalement en cause : "les métiers qui impliquent le port de poids répété ou qui imposent une station debout prolongée", observe Isabelle Reynaud, kinésithérapeute, périnéologue et créatrice du cabinet de conseil Working Health Consulting. Sont ainsi touchées les professionnelles de la petite enfance, les femmes cantinières, les caristes, les femmes qui travaillent en rayonnage, les agentes d’entretien, les employées d’hôtel, les aides à domiciles, les infirmières, les aides-soignantes, les sages-femmes, les vendeuses sur les marché, les hôtesses d’avion et même les mères de famille. En somme, "toutes les activités qui génèrent une hyperpression de l'abdomen sur le périnée" sont impliquées, observe le docteur Adrien Vidart, chirurgien urologue.
Fragilité anatomique
Mais pourquoi les femmes sont-elles plus concernées que les hommes ? La réponse est anatomique : "le muscle du périnée soutient tout le poids du haut du corps au niveau du bas ventre et du haut des cuisses" rappelle le docteur Vidart. "Mais chez les femmes, la cavité vaginale au milieu de ce muscle crée un vide et constitue donc une zone de fragilité" décrit le spécialiste. Cette disposition ne pose a priori pas de problème, sauf en cas d’hyperpression abdominale.
Les premiers symptômes d’une pathologie pelvi-périnéale peuvent se manifester par "des douleurs en bas du dos, en particulier avant les règles car l’utérus est alors plus lourd" décrit la docteure Bernadette de Gasquet, médecin et professeure de yoga spécialisée dans les exercices des abdominaux et la rééducation périnéale. Ce qui explique que "lorsqu’elles démarrent, ces pathologies peuvent être confondues avec un début de sciatique ou un problème de dos trop cambré", note-t-elle.
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Honte et tabou
Pourtant les conséquences peuvent être dramatiques pour la santé et le bien-être de ces patientes : "plus de 15% des femmes qui souffrent de pathologies pelvi-périnéales considèrent ces troubles comme un handicap social grave qui les pousse à élaborer des manœuvres de contournement par peur d’un accident qui surviendrait en société" déplore le docteur Vidart.
Résultat : "par honte et par tabou, les femmes n’osent pas avouer leurs symptômes et le nombre de patientes qui souffrent de ces pathologies est donc largement sous-estimé" remarque Isabelle Reynaud.
Sensibiliser les médecins du travail
"On comprend donc bien pourquoi le sujet n’est pas évident d’aborder avec son médecin traitant et encore moins avec son médecin du travail" observe le docteur Vidart. Pourtant, lorsque le travail est à l’origine de ces pathologies, en parler à ce spécialiste est primordial.
Problème : "les médecins du travail ne sont ni formés ni sensibilisés sur cette question" regrette Isabelle Reynaud, qui constate que ses patientes cachent souvent leurs fuites urinaires ou leur douleurs pelviennes derrière des maux de dos, plus tolérées et plus socialement acceptés. "Elles obtiennent ainsi un arrêt de travail pour troubles musculo-squelettiques (TMS), seul moyen pour elles d’obtenir une fenêtre de repos" témoigne la kinésithérapeute.
Une solution bancale qui ne résout en rien le souci initial. Il faudrait, selon Isabelle Reynaud, développer deux axes : "former à la fois les médecins du travail à aborder ces questions avec les femmes à risque et attribuer aux chefs d’entreprise une enveloppe budgétaire dédiée à la prévention de ces pathologies."
Prévention "sur-mesure"
"Dans les milieux hospitaliers, il existe déjà des formations à destination du personnel à risque de douleurs lombaires" rappelle le docteur Vidart. "On pourrait donc tout à fait imaginer le même type de formation pour les femmes à risque pelvi-périnéal" ajoute-t-il. Ce qui permettrait en plus de faire en sorte que les exercices pour le dos ne nuisent pas à l’état du périnée, ce qui peut être le cas : "parfois les abdominaux pratiqués pour renforcer le dos, de type ‘abdos crunch’ poussent le périnée vers le bas, ce qui aggrave les problèmes pelvi-périnéaux" déplore la docteure de Gasquet.
Que ce soit lors des exercices abdominaux ou pour protéger son périnée, Bernadette de Gasquet et Isabelle Reynaud sont unanimes : l’important est de ne pas bloquer sa respiration.
La prévention des pathologies pelvi-périnéales reste néanmoins difficile car "on ne peut pas demander à toutes les femmes d’être assise et de ne pas faire d’effort" rapporte le docteur Vidart. Et pour que la prévention soit efficace, il faut qu’elle soit réalisée "sur-mesure en fonction de la femme, de sa morphologie, de ses antécédents médicaux notamment obstétricaux et chirurgicaux" précise Isabelle Reynaud. "Il n’existe malheureusement pas d’exercice miracle qu’on puisse 'copier-coller' chez toutes les patientes" poursuit-elle.
Pas de chirurgie sans rééducation
Et faute de prévention, quand le mal est fait, quelles solutions s’offrent aux patientes ? Tout d’abord, "en cas de prolapsus ou de problème urinaire important, il est parfois possible de modifier ou d’adapter le poste de travail et d’autoriser des pauses pour aller aux toilettes, à condition qu’il soit révélé à l’employeur" souligne le docteur Vidart.
Côté traitement, tout dépend du degré du trouble. "Le type de réparation chirurgicale est choisi en fonction de l’avancée de la pathologie, de l’âge de la patiente et de ses antécédents" informe le chirurgien urologue.
En outre, "la rééducation est toujours essentielle avant et après la chirurgie à initier de préférence auprès d’un kiné pour apprendre les bons gestes" détaille le spécialiste. Et le plus important est de s’y tenir : "comme pour une activité physique ou sportive, la rééducation du périnée nécessite un entretien régulier" martèle le docteur Vidart. A ce moment là, les patientes doivent réellement être "actrices de leur santé" et apprendre à "modifier la gestuelle responsable de leur pathologie", sans quoi le problème reviendra, selon Isabelle Reynaud.
Enfin, pour que la prise en charge soit optimale, les autres facteurs de risque des pathologies de cette zone doivent aussi être comptés. Il s’agit des grossesses, de la pratique de sport à saut ou à impact (athlétisme, cross fit, volleyball, handball…), du surpoids, du tabagisme "qui altère le fonctionnement de la vessie", de la constipation "très fréquente chez les femmes adultes européennes", des toux chroniques et de l’âge, liste le docteur Vidart. Autant d’éléments qui rappellent l’importance de travailler sur ces pathologies de façon multidisciplinaire.